Excalibur
arme dans notre couvent. « Les ennemis se
rapprochent, dit Sansum pour expliquer la présence de l’épée.
— Je
crains que vous n’ayez raison, Monseigneur.
— Et des
ennemis, cela veut dire toujours plus d’hommes affamés dans nos collines, aussi
le soir, tu monteras la garde au monastère.
— Qu’il
en soit ainsi, Seigneur », dis-je humblement. Moi ? Monter la garde ?
J’ai des cheveux blancs, je suis vieux et faible. On pourrait tout aussi bien
demander cela à un enfant qui commence à marcher, mais je ne protestai pas et,
lorsque Sansum eut quitté la pièce, je tirai Hywelbane de son fourreau et me
dis qu’elle était devenue bien lourde durant les longues années passées dans le
Trésor du monastère. Lourde et peu maniable, mais c’était toujours mon épée, et
je regardai attentivement les os de porc jaunis insérés dans sa garde, puis l’anneau
d’amant attaché à son pommeau, et je vis, sur cette bague aplatie, les
minuscules pépites d’or que j’avais dérobées au Chaudron, bien des années auparavant.
Elle me rappelait tant d’histoires, cette épée. Il y avait un peu de rouille
sur sa lame et je la grattai soigneusement avec le couteau qui me servait à
tailler mes plumes, puis la serrai longuement dans mes bras, m’imaginant que j’étais
de nouveau jeune et assez fort pour la brandir. Moi ? Monter la garde ?
En réalité, Sansum ne voulait pas que je monte la garde, mais plutôt que je me
sacrifie comme un imbécile pendant qu’il s’enfuirait par la porte de derrière
avec saint Tudwal et l’or du monastère. Mais si tel doit être mon destin, je ne
me plaindrai pas. J’aimerais mieux mourir comme mon père l’épée à la main, même
si mon bras est faible et ma lame émoussée. Ce n’était pas le destin que
Merlin, ou Arthur, avait souhaité pour moi, mais c’est une bonne manière de
mourir pour un soldat, et même si j’ai été moine durant des lustres, et
chrétien depuis plus longtemps encore, dans mon âme pécheresse, je suis
toujours un lancier de Mithra. Aussi je baisai mon Hywelbane, content de la
revoir après tant d’années.
Je vais
dorénavant écrire avec mon épée à côté de moi et j’espère avoir le temps de
terminer cette histoire d’Arthur, mon seigneur, qui fut trahi, vilipendé et,
après son départ, regretté comme nul autre homme ne le fut de toute l’histoire
de la Bretagne.
*
Après que l’on
m’eut tranché la main, je fus en proie à une fièvre, et quand je me réveillai,
Ceinwyn était assise à mon chevet. Tout d’abord, je ne la reconnus pas, car ses
cheveux étaient courts et blancs comme la cendre. Mais c’était ma Ceinwyn, elle
était vivante, elle avait recouvré la santé, et quand elle vit la lumière dans
mes yeux, elle se pencha et posa sa joue sur la mienne. Je passai le bras
gauche autour de sa taille et découvris que je n’avais pas de main pour lui
caresser le dos, seulement un moignon enveloppé dans un morceau de tissu
ensanglanté. Je la sentais, et même elle me démangeait, mais en vérité, il n’y
avait plus de main. On l’avait brûlée.
Une semaine
plus tard, je fus baptisé dans l’Usk. C’est l’évêque Emrys qui accomplit le
rite, et lorsqu’il m’eut immergé dans l’eau froide, Ceinwyn qui m’avait suivi
sur la berge boueuse insista pour l’être aussi. « J’irai où va mon homme »,
dit-elle à Emrys, alors il croisa les mains de ma femme sur sa poitrine et il
la plongea dans la rivière. Un chœur de femmes chanta pendant que l’on nous
baptisait et, ce soir-là, vêtus de blanc, nous reçûmes pour la première fois le
pain et le vin chrétiens. Après la messe, Morgane exhiba un parchemin sur
lequel elle avait rédigé ma promesse d’obéissance à son mari dans la foi
chrétienne, et réclama que je le signe.
« J’ai
déjà donné ma parole.
— Tu
signeras, Derfel, et jureras sur le crucifix. »
Je soupirai et
signai. Les chrétiens, semblait-il, ne faisaient plus confiance aux anciens
serments, mais exigeaient le parchemin et l’encre. Je reconnus ainsi que Sansum
était mon seigneur et, lorsque j’eus écrit mon nom, Ceinwyn insista pour y
ajouter le sien. Ainsi commença la seconde moitié de ma vie, au cours de
laquelle je tins mon serment à Sansum, mais pas aussi bien que Morgane l’espérait.
Si Sansum savait que j’ai écrit cette histoire, il interpréterait cela comme un
manquement à ma promesse et me punirait, pourtant
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