Excalibur
la
regarda attentivement, puis frissonna. Elle ne dit rien.
« Dissipe
le sort, Morgane », la supplia Arthur.
Elle resta de
nouveau silencieuse, puis déclara : « C’est défendu de se mêler de
sorcellerie. Les saintes Ecritures nous disent qu’il ne faut pas souffrir qu’une
sorcière vive.
— Alors,
dites-moi comment faire, la pria Taliesin.
— Toi ?
s’écria Morgane. Toi ? Tu crois pouvoir conjurer la magie de Merlin ?
Si ce doit être fait, alors que cela le soit dans les formes.
— Par toi ? »
demanda Arthur, et Morgane gémit. Elle se signa de sa bonne main, puis secoua
la tête et parut incapable d’ajouter un mot. Arthur fronça les sourcils. « Qu’est-ce
que ton Dieu désire ?
— Vos
âmes ! cria Morgane.
— Vous
voulez que je devienne chrétien ? » demandai-je.
Le masque d’or
marqué de la croix se releva soudain pour me faire face. « Oui,
répondit-elle.
— D’accord »,
répondis-je tout aussi laconiquement.
Elle pointa la
main vers moi. « Tu te feras baptiser, Derfel ?
— Oui,
Dame.
— Et tu
jureras obéissance à mon époux ? »
Cela m’arrêta.
Je la regardai fixement. « À Sansum ? demandai-je d’une voix faible.
— C’est
notre évêque ! insista Morgane. Son autorité vient de Dieu ! Je ne
dissiperai la malédiction que si tu acceptes de lui jurer obéissance, et d’être
baptisé. »
Arthur plongea
son regard dans le mien. Durant quelques battements de cœur, je ne pus avaler l’humiliation
qu’exigeait Morgane, mais je pensai à Ceinwyn et hochai la tête. « Je le ferai. »
Alors Morgane
prit le risque d’encourir la colère de son Dieu et dissipa la malédiction.
*
Elle le fit l’après-midi
même. Elle vint dans la cour du palais en robe noire, sans son masque afin que
nous voyions tous l’horreur de son visage ravagé par le feu, rouge et couturé
et strié et tordu. Elle était furieuse contre elle-même, mais tenue par sa
promesse, elle mena la chose tambour battant. On alluma un brasier que l’on
nourrit de charbon de bois ; pendant que le feu prenait, des esclaves
amenèrent des paniers d’argile de potier et Morgane modela une silhouette de
femme. Elle mélangea à l’argile le sang d’un enfant mort dans la ville ce
matin-là, et de la rosée qu’une esclave récupéra sur l’herbe mouillée de la
cour. Le tonnerre ne grondait pas, mais Morgane dit qu’elle n’en avait pas
besoin. Elle cracha sur l’horreur qu’elle avait faite. C’était une image
grotesque, une femme avec d’énormes seins, les jambes écartées, le vagin béant,
et dans son ventre, Morgane creusa un trou qui, dit-elle, serait la matrice où
elle déposerait le mal. Arthur, Taliesin et Guenièvre la regardaient, captivés ;
ensuite, elle fit trois fois le tour de la silhouette obscène. Ayant accompli
sa troisième révolution, elle s’arrêta, leva la tête vers les nuages et hurla.
Un moment, je crus qu’elle souffrait tellement qu’elle ne pouvait pas
continuer, que son Dieu lui ordonnait d’arrêter le rituel, mais elle tourna son
visage tordu vers moi. « J’ai besoin du mal, maintenant.
— Qu’est-ce
que c’est ? » demandai-je.
La fente qui
lui servait de bouche parut sourire. « Ta main, Derfel.
— Ma main ? »
Je vis que c’était
bien un sourire. « La main qui te lie à Nimue. Par quoi crois-tu que le
mal est canalisé ? Tu dois la couper, Derfel, et me la donner.
— Certainement
que... commença à protester Arthur.
— Tu me
forces à pécher, cria Morgane en se tournant vers son frère, et tu mets ma
sagesse en doute ?
— Non, se
hâta de répliquer Arthur.
— Moi, je
m’en moque, si Derfel veut garder sa main, qu’il la garde. Ceinwyn peut
continuer à souffrir.
— Non,
dis-je, non. »
Nous envoyâmes
chercher Galahad et Culhwch, puis Arthur nous emmena tous trois à sa forge où
le feu brûlait jour et nuit. J’ôtai mon anneau d’amant et le donnai à Morridig,
le forgeron d’Arthur, lui demandant de le sceller sur le pommeau d’Hywelbane.
La bague, simple anneau de guerrier, était en fer, mais elle portait une croix
en or que j’avais dérobée au Chaudron de Clyddno Eiddyn, et Ceinwyn portait la
même.
Nous plaçâmes
un épais morceau de bois sur l’enclume. Galahad m’étreignit de toute sa force,
je dénudai mon bras gauche et posai la main sur le billot improvisé. Culhwch
empoigna mon avant-bras, non pour l’immobiliser, mais pour
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