Excalibur
je m’en moque. J’ai commis
beaucoup de péchés, mais je n’ai jamais manqué à ma parole.
Après mon
baptême, je m’étais plus ou moins attendu à une convocation de Sansum, qui
était resté chez le roi Meurig, dans le Gwent, mais le Seigneur des Souris
garda simplement ma promesse écrite et n’exigea rien, pas même de l’argent. Pas
sur le moment.
La
cicatrisation de mon moignon fut lente, et mon insistance à m’exercer ne fit
rien pour la hâter. Au combat, on passe le bras gauche dans les deux énarmes du
bouclier et l’on saisit la poignée en bois, mais je n’avais plus de doigts pour
le faire, aussi je fis remplacer les brides par des courroies pourvues de
boucles que l’on pouvait attacher à mon avant-bras. Je n’étais pas aussi bien
protégé, mais c’était mieux que pas de bouclier du tout, et lorsque je me fus
accoutumé aux courroies, je m’exerçai à l’épée avec Galahad, Culhwch et Arthur.
Je trouvai ce nouveau bouclier peu maniable, mais je pouvais tout de même
continuer à me battre, même si après chaque assaut d’entraînement mon moignon
saignait tant que Ceinwyn me grondait en changeant mon pansement.
La pleine lune
arriva et je n’apportai ni épée ni victime à Nant Dduu. Je m’attendais à ce que
Nimue se venge, mais rien ne vint. La fête de Beltain eut lieu une semaine
après la pleine lune ; Ceinwyn et moi, obéissant aux ordres de Morgane,
nous n’éteignîmes pas nos feux, et nous ne restâmes pas éveillés pour en
allumer d’autres, mais Culhwch vint nous voir le lendemain matin avec un tison
de son nouveau feu qu’il jeta dans notre âtre. « Tu veux que je parte pour
le Gwent, Derfel ? me demanda-t-il.
— Le
Gwent ? Pourquoi ?
— Pour
tuer ce petit crapaud, Sansum, je veux dire.
— Il ne
me cause pas d’ennuis.
— Pourtant,
il va le faire, grommela mon ami. Je n’arrive pas à t’imaginer chrétien. Tu te
sens différent ?
— Non. »
Pauvre
Culhwch. Il se réjouissait de voir Ceinwyn en bonne santé, mais haïssait le
marché que nous avions passé avec Morgane. Il se demandait, comme beaucoup d’autres,
pourquoi je ne trahissais pas ma promesse d’obéissance à Sansum, mais je
craignais, si je le faisais, que la maladie resurgisse, aussi y demeurai-je
fidèle. Avec le temps, cette obéissance devint une habitude, si bien qu’après
la mort de Ceinwyn, je découvris que je n’avais pas envie de me libérer de mon
serment, même si la disparition de ma femme desserrait l’emprise qu’il avait
sur moi.
Mais en ce
jour où le feu nouveau réchauffait les foyers refroidis, tout cela appartenait
encore à un lointain avenir inconnu. Ce fut une belle journée de soleil et de
floraison. Je me souviens que nous avions acheté des oisons au marché, ce
matin-là, pensant que nos petits-enfants s’amuseraient à les voir grandir sur
la petite mare, derrière notre maison ; ensuite, je me rendis en compagnie
de Galahad à l’amphithéâtre où je m’exerçai de nouveau avec mon bouclier peu
maniable. Nous étions les seuls lanciers présents, car la plupart des autres se
remettaient encore d’une nuit de beuverie. « Les oisons, ce n’est pas une
bonne idée, dit Galahad en frappant mon bouclier avec la hampe de sa lance.
— Pourquoi
ça ?
— En
grandissant, ils deviendront querelleurs.
— Tu veux
rire. Ils deviendront un souper. »
Gwydre nous
interrompit en apportant une convocation de son père, et nous revînmes en ville
sans nous presser, pour apprendre qu’Arthur s’était rendu au palais d’Emrys. En
chemise et pantalon de tartan, il était penché sur une grande table couverte de
planures de bois où l’évêque avait dressé des listes de lanciers, d’armes et de
bateaux. Arthur leva les yeux quand nous entrâmes et, durant un battement de cœur,
il demeura silencieux, mais je me souviens que son visage à la barbe grise arborait
une expression sinistre. Puis il dit seulement : « La guerre. »
Galahad se
signa tandis que moi, encore habité par les anciennes coutumes, je touchai la
garde d’Hywelbane. « La guerre ? demandai-je.
— Mordred
marche sur nous, dit Arthur. Il vient nous attaquer ! Meurig lui a donné
la permission de traverser le Gwent.
— Avec
trois cent cinquante lanciers, nous a-t-on dit », ajouta Emrys.
Je crois
encore, aujourd’hui, que c’est Sansum qui a persuadé Meurig de trahir Arthur.
Je n’en ai pas la preuve et l’évêque l’a toujours nié,
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