Excalibur
s’appelle », dit
Caddwg sans autre forme de salutation. Il m’avait aperçu, à côté de son
embarcation et était sorti de sa maison. Le vieil homme à la barbe fournie, boucané
par le soleil, portait un justaucorps de laine taché de poix où brillaient des
écailles de poisson.
« C’est
Merlin qui m’a envoyé, dis-je.
— J’pensais
qu’il le ferait. L’a dit qu’il le ferait. I‘va venir ?
— Il est
mort. »
Caddwg cracha.
« J’aurais pas cru entendre ça un jour. » Il cracha une seconde fois.
« J’pensais qu’la mort le louperait.
— Il a
été tué. »
Caddwg se
pencha et jeta des morceaux de bois dans un feu qui faisait bouillonner le
contenu d’un pot. C’était de la poix et je vis que le batelier avait colmaté
les fentes entre les planches du Prydwen. Le bateau était beau. On avait gratté
sa coque et la nouvelle couche de bois brillait, formant contraste avec le noir
du calfatage qui empêchait l’eau d’y pénétrer. Il avait une haute proue et un
grand étambot ; un long mât tout neuf était posé sur des tréteaux, à côté
de lui. « Vous en avez besoin, alors, dit Caddwg.
— Il y en
a douze autres qui attendent au fort.
— Demain,
à la même heure.
— Pas
avant ? demandai-je, inquiet de ce retard.
— J’savais
pas que vous alliez venir, grommela-t-il, et je peux le lancer qu’à marée
haute, et ce sera demain matin. Mais d’ici que j’ai remonté le mât et envergué
la voile, et p’is remonté l’gouvernail, la marée sera de nouveau basse. L’ Prydwen sera à flot en milieu d’après-midi, ouais, et j’viendrai vous chercher aussi
vite que je pourrais, mais qu’ça vous plaise ou non, la nuit sera presque
tombée avant qu’on puisse partir. S’auriez dû m’faire prévenir avant. »
C’était vrai,
aucun de nous n’aurait pensé à avertir Caddwg, car aucun de nous ne s’y
connaissait en bateaux. Nous nous attendions à embarquer sur-le-champ, nous n’avions
pas imaginé que l’embarcation serait en cale sèche. « Y en a-t-il d’autres ?
demandai-je.
— Pas
pour treize personnes, et aucun qui pourrait vous emmener où j’vais aller.
— En Brocéliande.
— J’vous
emmènerai où Merlin m’a dit d’vous emmener », déclara obstinément Caddwg,
puis il contourna à pas lourds la proue du Prydwen et montra du doigt
une pierre grise grosse comme une pomme. Elle n’avait rien de remarquable, sauf
qu’on l’avait habilement insérée dans l’étrave, où le chêne l’enrobait comme
une pierre précieuse enchâssée dans une monture. « I’m’a donné ce bout de
roche. Une pierre de spectre, que c’est.
— Une
pierre de spectre ? » Je n’avais jamais entendu parler d’une chose
pareille.
« Elle
emmènera Arthur où Merlin veut qu’il aille, et rien d’autre pourra l’faire. Et
aucun autre bateau peut l’emmener, que çui que Merlin a baptisé. » Prydwen
signifiait Bretagne. « Arthur est avec vous ? me demanda Caddwg,
soudain inquiet.
— Oui.
— Alors,
j’apporterai l’or aussi.
— L’or ?
— L’vieux
l’a laissé pour Arthur. L’a pensé qu’il en aurait besoin. Me servirait à rien.
On attrape pas l’poisson avec de l’or. J’ai acheté une nouvelle voile, c’est
Merlin qui m’a dit d’le faire, aussi pour ça, i’m’a donné l’or, mais l’or
attrape pas l’poisson. Il attrape les femmes, mais pas l’poisson. » Il
gloussa.
Je levai les
yeux vers le bateau échoué. « Tu as besoin d’aide ? »
demandai-je.
Caddwg eut un
rire sans joie. « Et comment que vous pourriez m’aider ? Vous et
votre bras raccourci ? Vous pourriez calfater un bateau ? Vous
pourriez mettre un mât dans son emplanture, ou enverguer une voile ? »
Il cracha. « J’ai qu’à siffler et j’vais avoir une douzaine d’hommes pour
m’aider. Vous nous entendrez chanter demain matin, c’qui voudra dire qu’on est
en train de l’faire rouler pour le mettre à l’eau. Demain soir, j’irai vous
chercher au fort. » Il me salua d’un signe de tête, me tourna le dos et
retourna dans sa cabane.
J’allai
rejoindre Arthur. Il faisait nuit et toutes les étoiles du paradis piquetaient
le ciel. La lune dessinait une longue traînée chatoyante sur la mer et
éclairait les murs écroulés du petit fort où nous allions être obligés d’attendre
le Prydwen .
Nous allions
passer un dernier jour en Bretagne, pensai-je. Une dernière nuit et un dernier
jour,
Weitere Kostenlose Bücher