Excalibur
hommes experts en viol et en pillage, mais qui n’avaient jamais
affronté un mur de boucliers de tueurs endurcis. Et avec quelle violence nous
les décimions maintenant. Leur mur s’était disloqué, rongé par le feu et la
peur, et nous hurlions un chant de victoire. Je trébuchai sur un corps, tombai
tête la première et me retournai pour protéger mon visage avec mon bouclier.
Une épée le frappa avec un bruit assourdissant, puis les hommes de Sagramor m’enjambèrent
et un lancier me hissa sur mes pieds. « Tu es blessé ? demanda-t-il.
— Non. »
Il poursuivit
son chemin. Je cherchai des yeux l’endroit où notre mur avait besoin d’être
renforcé, mais partout il faisait au moins trois hommes d’épaisseur, et ce
triple rang poursuivait impitoyablement le carnage. Nos hommes tranchaient,
taillaient, transperçaient la chair ennemie en poussant des grognements. C’est
le glorieux envoûtement de la guerre, l’euphorie sans mélange que l’on éprouve
à rompre un mur de boucliers, à abreuver son épée du sang d’un adversaire
détesté. Je regardai Arthur, l’homme le plus gentil que j’aie jamais connu, et
ne vis que joie dans ses yeux. Galahad, qui demandait chaque jour dans ses
prières la grâce de suivre le commandement d’amour universel du Christ,
massacrait en ce moment son prochain avec une terrible efficacité. Culhwch
rugissait des insultes. Il avait repoussé son bouclier dans son dos afin de
manipuler à deux mains sa lourde lance. Gwydre souriait derrière ses
protège-joues et Taliesin chantait en achevant les blessés ennemis que notre
mur laissait derrière lui. On ne gagne pas un tel corps à corps en restant
sensé et modéré, mais en s’abandonnant à un élan surnaturel de folie hurlante.
Les ennemis ne
purent supporter notre furie ; ils se dispersèrent et partirent en
courant. Mordred tenta de les retenir, mais ils ne l’écoutèrent pas, et il
finit par s’enfuir avec eux vers le fort. La rage de la bataille bouillonnait
encore en nous et certains de nos hommes se lancèrent à leur poursuite, mais
Sagramor les rappela. Il avait été blessé à l’épaule gauche, pourtant,
repoussant nos tentatives de lui venir en aide, il beugla à ses hommes l’ordre
d’arrêter. Nous n’osions pas les suivre, tout battus qu’ils fussent, car nous
nous retrouverions alors à l’endroit le plus large de la levée et inviterions
ainsi l’ennemi à nous encercler. Nous restâmes où nous avions combattu et raillâmes
nos adversaires, les traitant de couards.
Une mouette
picorait les yeux d’un mort. Je regardai au loin et vis que le Prydwen ,
libéré de son amarrage, avait la proue tournée vers nous, mais la douce brise
agitait à peine sa brillante voile. Il avançait tout de même et les longs
reflets colorés de sa voilure frémissaient sur l’eau unie comme un miroir.
Mordred
aperçut le bateau, vit le grand ours sur sa voile et il comprit que ses ennemis
pouvaient s’échapper par la mer, aussi hurla-t-il à ses hommes de former un
nouveau mur de boucliers. Des renforts ne cessaient d’arriver et certains de
ces nouveaux-venus étaient des hommes de Nimue, car je vis deux Bloodshields
prendre place dans la nouvelle ligne qui se préparait à nous charger.
Nous nous
retrouvâmes à notre point de départ, en train de reconstituer un mur de
boucliers dans le sable trempé de sang, devant le feu qui nous avait aidés à
remporter le premier assaut. Les corps de nos quatre morts n’étaient qu’à demi
brûlés et leurs visages roussis nous souriaient horriblement de leurs lèvres
retroussées sur des dents décolorées. Nous laissâmes les cadavres ennemis sur
le sable, obstacles sur le chemin des vivants, mais nous tirâmes les nôtres en
arrière et les empilâmes à côté du feu. Nous comptions seize morts et une
vingtaine de blessés graves, mais il nous restait assez d’hommes pour former un
mur de boucliers, et nous pouvions encore combattre.
Taliesin
chanta pour nous. Il entonna sa ballade sur le Mynydd Baddon, et ce fut sur ce
rythme soutenu que nous joignîmes de nouveau nos boucliers. Nos épées et nos
lances étaient émoussées et tachées de sang, l’ennemi était frais, mais nous
poussâmes des acclamations lorsqu’ils vinrent à nous. Le Prydwen bougeait à peine. Il ressemblait à un vaisseau en équilibre sur un miroir, mais
je vis alors les longues rames se déployer telles des ailes.
« Tuez-les ! »
hurla Mordred ; lui
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