Excalibur
air moqueur. Je
voulais qu’il soit roi parce que c’est un faible et qu’une femme ne peut régner
dans ce monde que par le truchement d’un homme faible. Arthur ne l’est pas. »
Elle prit une profonde respiration. « Lancelot l’est, et peut-être gouvernera-t-il
ce pays quand les Saxons viendront, pourtant si quelqu’un doit contrôler
Lancelot, ce ne sera pas moi, ni aucune femme d’ailleurs, mais Cerdic, et ce
roi-là, d’après ce que j’ai entendu dire, est tout sauf faible. » Elle se
leva, vint à moi et me prit la lettre des mains. Elle la déplia, la lut une
dernière fois, puis jeta le parchemin dans le feu. Il noircit, se racornit,
puis s’enflamma. » Va dire à Arthur que cette nouvelle m’a fait pleurer,
dit-elle en contemplant les flammes. C’est ce qu’il désire entendre, aussi
dis-le-lui. Dis-lui que j’ai pleuré. »
Je la quittai.
Dans les jours qui suivirent, la neige fondit, mais les pluies revinrent et les
arbres noirs dénudés dégouttèrent sur une terre qui semblait pourrir dans toute
cette humidité. Le solstice approchait, mais le soleil ne se montrait toujours
pas. Le monde se mourait dans un désespoir sombre et mouillé. J’attendais qu’Arthur
revienne, mais il ne me convoqua pas. Il emmena sa nouvelle épouse à Durnovarie
et c’est là qu’il célébra le solstice. Si ce que pensait Guenièvre de ce
nouveau mariage comptait pour lui, il ne me le demanda pas.
Nous fêtâmes
le solstice d’hiver au manoir de Dun Caric et aucun de ceux qui étaient
présents ne doutait que ce serait pour la dernière fois. Nous fîmes nos
offrandes au soleil du solstice d’hiver, convaincus que lorsqu’il monterait de
nouveau dans le ciel, il n’apporterait pas la vie au pays, mais la mort. Il
apporterait les lances des Saxons, les haches des Saxons et les épées des Saxons.
Nous priâmes, et nous festoyâmes, et nous craignîmes d’être condamnés. Et la
pluie ne voulait toujours pas cesser.
DEUXIÈME PARTIE LE MYNYDD BADDON
Carte montrant
l’emplacement d’Aquae Sulis et du Mynydd Baddon
« Qui,
alors ? » demanda Igraine dès qu’elle eut fini de lire le premier
feuillet de ma dernière pile de parchemins. Elle avait appris un peu de saxon
durant ces derniers mois et tirait grande fierté de cet exploit, bien qu’en
vérité ce fût une langue barbare beaucoup moins subtile que le breton.
« Qui ça ?
demandai-je à mon tour.
— Quelle
fut la femme qui mena la Bretagne à sa destruction ? Nimue, n’est-ce pas ?
— Si tu m’accordes
le temps d’écrire cette histoire, chère Dame, tu le découvriras.
— Je
savais que tu me dirais cela. J’ignore même pourquoi j’ai posé la question. »
Elle était assise sur le large rebord de ma fenêtre, une main posée sur son
gros ventre, la tête penchée de côté comme si elle écoutait. Au bout d’un
moment, une expression de ravissement espiègle éclaira son visage. « Le
bébé me donne des coups de pied, dit-elle, tu veux le sentir ? »
Je frissonnai.
« Non.
— Pourquoi
non ?
— Les
bébés ne m’ont jamais intéressé. »
Elle me fit
une grimace. « Tu aimeras le mien, Derfel.
— Vraiment ?
— Il va
être mignon !
— Comment
sais-tu que c’est un garçon ?
— Aucune
fille ne donnerait d’aussi forts coups de pied, voilà pourquoi. Regarde ! »
Ma reine tira sa robe bleue sur son ventre et rit lorsque le dôme lisse ondula.
« Parle-moi d’Argante, dit-elle en laissant retomber la robe.
— Petite,
brune, mince, jolie. »
Igraine fit la
grimace devant l’insuffisance de ma description. « Était-elle intelligente ? »
Je réfléchis à
cela. « Elle était rusée, ça oui, et avait une sorte d’intelligence, mais
qu’aucune instruction n’avait nourrie. »
Ma reine
accueillit cette déclaration d’un haussement d’épaules dédaigneux. « Est-ce
si important que cela, l’instruction ?
— Je
pense que oui. J’ai toujours regretté de ne pas avoir appris le latin.
— Pourquoi ?
— Une
grande partie de l’expérience de l’humanité a été transmise dans cette langue,
Dame, et l’instruction nous donne, entre autres, accès à tout ce que les autres
ont su, craint, rêvé ou accompli. Quand on est dans l’embarras, découvrir que
quelqu’un a été autrefois dans la même situation fâcheuse, cela peut aider.
Cela explique des choses.
— Comme
quoi ? »
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