Excalibur
fumer dans le crépuscule
de Beltain, je sentis monter en moi une bouffée d’espoir.
*
Cet espoir se
flétrit assez vite car à Dun Caric tout n’était que chaos et mystère. Toujours
pas d’Issa ; le petit village, au pied du manoir, était envahi de réfugiés
que les rumeurs avaient alarmés, bien qu’aucun d’entre eux n’ait vu un seul
Saxon. Ils avaient emmené leurs vaches, leurs moutons, leurs chèvres et leurs
cochons, et tout cela convergeait vers Dun Caric parce que mes lanciers leur
offraient une sécurité illusoire. Je fis propager de nouvelles rumeurs par mes
domestiques et mes esclaves, disant qu’Arthur se retirerait vers les
territoires bordant le Kernow et que j’avais décidé d’abattre les troupeaux
pour nourrir mes hommes ; ces faux bruits suffirent à pousser la plupart
des familles à partir pour la lointaine frontière de cette province. Elles
seraient relativement en sécurité dans les vastes landes et leurs animaux n’encombreraient
pas les routes menant à Corinium. Si je leur avais simplement ordonné de partir
vers le Kernow, elles auraient eu des doutes et se seraient attardées pour s’assurer
que je ne les trompais pas.
Issa ne nous
avait toujours pas rejoints au coucher du soleil. Je ne m’inquiétai pas outre
mesure car Durnovarie était loin et la route fourmillait sans doute de
réfugiés. Nous prîmes un repas au manoir et Pyrlig nous chanta la ballade de la
grande victoire d’Uther sur les Saxons, à Caer Idern. Quand il eut terminé, je
lui lançai une pièce d’or et dis que j’avais un jour entendu Cynyr du Gwent la
chanter. Cela l’impressionna. « Cynyr était le plus grand de tous les
bardes, dit-il avec nostalgie, même si certains prétendent qu’Amairgin de
Gwynedd le surpassait. J’aurais voulu les entendre.
— Mon
frère dit qu’il y a un barde encore plus remarquable au Powys, en ce moment,
dit Ceinwyn. Et un jeune, en plus.
— Qui ?
demanda Pyrlig, pressentant un fâcheux rival.
— Il s’appelle
Taliesin.
— Taliesin ! »
Guenièvre répéta ce nom qui lui plaisait. Il signifiait « front brillant ».
« Je n’ai
jamais entendu parler de lui, dit sèchement Pyrlig.
— Quand
nous aurons battu les Saxons, nous commanderons un chant de victoire à ce
Taliesin. Et à toi aussi, Pyrlig, me hâtai-je d’ajouter.
— Un
jour, j’ai entendu Amairgin chanter, dit Guenièvre.
— Vraiment,
Dame ? s’exclama Pyrlig, fort impressionné.
— Je n’étais
qu’une enfant, mais je me souviens qu’il poussait des espèces de rugissements
caverneux. C’était effrayant. Ses yeux s’écarquillaient, il avalait de l’air,
puis il beuglait comme un taureau.
— Ah, l’ancien
style, dit Pyrlig dédaigneusement. De nos jours, nous cherchons l’harmonie des
mots plus que le simple volume du son.
— Vous
devriez chercher les deux, répliqua sévèrement Guenièvre. Je ne doute pas que
ce Taliesin soit un virtuose de l’ancien style qui excelle aussi en
versification. Comment pouvez-vous captiver un public si tout ce que vous avez
à lui offrir, c’est une cadence ingénieuse ? Vous devez glacer le sang
dans nos veines, vous devez nous faire pleurer, vous devez nous faire rire !
— N’importe
quel homme peut faire du bruit, Dame, répliqua Pyrlig qui défendait sa
profession, mais il faut être un artiste chevronné pour imprégner les mots d’harmonie.
— Et
bientôt les seules personnes capables de comprendre la complexité de cette
harmonie seront les autres artistes chevronnés, avança Guenièvre, vos efforts
pour impressionner vos compagnons poètes vous rendront plus savants et vous ne
vous apercevrez même pas qu’à part vous, plus personne n’entendra goutte à ce
que vous ferez. Les bardes chanteront pour les bardes pendant que nous autres,
nous nous demanderons à quoi tend tout ce bruit. Votre tâche, Pyrlig, est de
garder vivantes les histoires des peuples, et pour cela il ne faut pas que vous
deveniez trop subtils.
— Vous ne
souhaitez tout de même pas que nous devenions vulgaires, Dame ! » Et
en signe de protestation, il pinça les cordes en crin de sa harpe.
« Je
voudrais que vous soyez vulgaires pour les gens vulgaires, raffinés pour les
gens raffinés, et les deux en même temps, car si vous n’êtes que raffinés, vous
privez le peuple de ses histoires, et si vous n’êtes que vulgaires, aucun
seigneur, aucune dame, ne vous lancera de pièce d’or.
— Sauf
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