Fatima
Yâkût al Makhr.
Il le fallait, pour sa sécurité.
L’idée d’une rencontre était donc ridicule ! Dans un instant les enfants surgiraient devant elle, comme la première fois. Ils la conduiraient vers la vieille Haffâ, à qui Fatima laisserait la mule blanche, des cadeaux, des remerciements. Peut-être s’inquiéterait-elle négligemment de savoir si Abd’Mrah…
Non. Elle se mentait. Ce n’étaient là que des mots d’imagination. Quelque chose en elle soufflait tout le contraire. Et c’était terrible…
Il y eut soudain un sifflement strident.
Il résonna tel un cri d’oiseau entre les pans de roches dressés sur les bas-côtés. Fatima venait de franchir l’embranchement conduisant à Mina. Elle devinait les premières tentes serrées à l’abri des ravines de basalte noir.
Ses mains tirèrent sur la longe de la mule sans qu’elle en eût conscience. Son regard se brouilla. Sa poitrine fut soudain aussi vide qu’une jarre brisée.
De nouveau le sifflement résonna, lui frappant le dos.
C’était lui. Impossible d’en douter.
Pourtant, elle ne pouvait pas faire un geste de plus.
Loin au bas de la route, elle entendit des cris. Des enfants, comme elle l’avait prévu, apparurent. Ils ne regardèrent pas dans sa direction et se contentèrent de mener leurs moutons vers les herbes sèches des pentes.
Elle trouva enfin la force de se retourner.
Les pans de son chèche masquaient son visage, mais c’était bien lui ! Elle fut surprise tout de même. Il montait un splendide méhari d’une blancheur si parfaite que la mule, en comparaison, paraissait presque grise.
Il lui fit signe d’approcher. Comme elle ne relançait toujours pas sa monture, il répéta son geste avec impatience.
Quand elle fut près de lui, elle découvrit la longue nimcha suspendue à la selle du méhari. Une arme comme on ne s’attendait pas à en trouver dans la main d’un Bédouin.
Sans un mot, Abd’Mrah lui indiqua un passage qui s’enfonçait entre les plis de basalte. Il l’y précéda, se balançant, plein d’élégance, sur son méhari. Avec soulagement, Fatima s’aperçut que son coeur s’était enfin calmé.
Comme elle avait bien fait de ne pas céder à la tentation ! De quoi aurait-elle eu l’air, maintenant, à suivre Abd’Mrah en tunique précieuse alors qu’il se comportait en guerrier ?
Le passage tout à coup s’élargit, dessinant une sorte de clairière entre des replis de roche parsemés d’arbustes. L’endroit était assez vaste pour qu’Abd’Mrah y fasse pivoter son méhari. Quand il fut face à Fatima, il découvrit son visage. Il souriait.
— Je t’attendais, dit-il.
C’était la vérité. Il ne pouvait en aller autrement. Pourtant Fatima se demanda comment cela était possible. Abd’Mrah ne la laissa pas longtemps dans l’ignorance. Il fit agenouiller sa monture, en descendit et tendit une main pour que Fatima s’y appuie pendant qu’elle se laissait glisser du dos de la mule. Conservant sa main dans la sienne, Abd’Mrah déclara :
— Ne cherche pas. Celle qui te sert de première servante a prévenu la vieille Haffâ. « La fille du Messager ramènera la mule demain. » On me l’a fait savoir.
Ashemou ! Fatima aurait dû s’en douter.
Elle songea à retirer sa main de celle d’Abd’Mrah. Elle ne le fit pas. Ses doigts étaient trop fermes, trop doux.
Abd’Mrah dit encore :
— Durant la nuit, je suis revenu du lieu où al Makhr ne me trouvera pas. Mais il valait mieux qu’on ne nous voie pas sur la route. Ni dans les tentes. Yâkût y a ses espions, et certains sont toujours tentés de trahir pour un peu de richesse. Et toi, tu vas te rendre à Ta’if avec ton père. Il a raison. Il ne doit pas rester à Mekka. Il est trop précieux, et les autres aujourd’hui sont bien plus forts que lui.
Il sourit, même si son regard était sérieux. Il semblait aussi terriblement sûr de lui. Fatima s’en agaça. Elle retira sa main.
— Je venais rendre la mule et aussi te dire au revoir. Mais puisque tu sais déjà tout…
Abd’Mrah cessa de sourire.
— Je le sais parce qu’il le faut ! Tant que vous êtes à Mekka, on doit vous protéger. On a notre manière à nous que les mauvais ne peuvent pas imaginer. Toi, le Messager et toute votre famille, vous nous êtes précieux. Jamais encore un puissant de Mekka n’était venu à nous, les Bédouins, pour nous dire : « Notre Dieu est le vôtre. Sa Clémence s’étend sur vous comme
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