Fatima
sur nous. » Pour ceux de la mâla qui tournent en rond sur la Ka’bâ, le petit bétail que nous vendons a plus de prix que nous-mêmes. Depuis les pères de nos pères de nos pères, les grands clans nous considèrent moins que des humains. Pour eux, si nos semelles frottaient les rues de la cité, elles les souilleraient. Ton père le Messager dit tout le contraire. Il dit : « Tout ce qui est bon pour Allah est bon pour toi, Bédouin. Tu es Sa créature autant que je le suis. » Qu’il en soit remercié pour l’éternité ! Tu le lui répéteras. Et aussi que je n’ai pas peur d’un Yâkût al Makhr.
Enflammé par ses mots, Abd’Mrah saisit de nouveau la main de Fatima. Son visage irradiait tout à la fois de colère, d’intelligence et de confiance. Mais elle n’avait aucun mot en réponse, et son seul désir était de se fondre dans ses bras. Il lui resta tout juste assez de force pour se mordre les lèvres et retenir la folie de son corps.
Peut-être Abd’Mrah éprouvait-il lui aussi la même tentation. Et lui aussi sut se maîtriser. Un peu brusquement, il abandonna sa main. Un silence embarrassé se glissa entre eux.
D’une voix blanche, comme lavée d’émotion, Fatima déclara :
— Je rapporterai tes paroles à mon père. Je sais qu’il en sera heureux et qu’il t’en estimera.
Abd’Mrah se contenta d’un signe, sans la quitter du regard.
Dans son dos, le méhari blatéra soudain, impatient, comme s’il se sentait trop à l’étroit. Abd’Mrah l’apaisa d’un claquement de la langue. Il attrapa la longe de cuir, l’enroula à la pointe de ses doigts. Son sourire narquois était revenu sur ses lèvres.
— Le vieux Perse t’a-t-il aussi appris à monter un méhari ?
De surprise, Fatima ne répondit pas tout de suite. Puis elle se souvint de ce qu’Abd’Mrah lui avait confié à leur première rencontre, à la sortie du cimetière d’al Ma’lât. S’il l’avait espionnée tandis qu’elle s’entraînait avec Abdonaï, au moins ne savait-il pas tout d’elle.
Elle annonça fièrement :
— Il me l’a appris. Et aussi à me servir de l’arc au galop.
— Alors, tu sauras conduire cette bête jusque dans votre cour. Je l’offre à ton père. C’est un méhari de cinq ans. Le plus beau, que j’ai dressé moi-même. Et le plus rapide.
— Pour mon père ?
— Oui. Il peut en avoir besoin sur la route de Ta’if. Là-bas aussi, peut-être…
La petite flamme amusée dans son regard révéla qu’il avait perçu la déception de Fatima. Mais il parut ne pas y prêter attention. Il lui glissa la longe entre les doigts, lui prodigua quelques conseils sur le caractère de la bête et s’excusa pour la mauvaise selle.
— Muhammad le Messager en a certainement de plus belles et de plus dignes de lui dans ses entrepôts, dit-il.
Il plaisanta encore, affirmant que la mule blanche serait bien plus discrète pour rejoindre sa cachette et ses troupeaux.
— Le dos d’une mule, c’est la vraie place d’un Bédouin, persifla-t-il.
Mais lorsque Fatima eut planté les pieds dans le cou du méhari et intimé à la bête l’ordre de se relever, Abd’Mrah saisit le bas de la tunique de la jeune fille, le porta à ses lèvres et à son front. Puis, lui donnant son nom complet, que personne jamais n’utilisait, il demanda :
— Fatima Zahra, Fatima Zahra, est-ce que parfois, la nuit, tu laisses tes pensées errer entre les étoiles, comme si tu te promenais dans le jardin d’une oasis ?
— Oui, souffla Fatima.
— Ah ! Je m’en doutais… Moi aussi. Ces dernières nuits, j’ai quelquefois eu l’impression de t’y rencontrer.
L’émotion serrait trop la gorge de Fatima. Elle ne put qu’approuver d’un geste.
— Peut-être auras-tu envie de t’y promener quand tu seras à Ta’if ? La montagne, là-bas, est encore plus près des étoiles qu’ici, et le ciel plus pur.
De nouveau Fatima, les doigts serrés à lui faire mal sur la longe, opina.
— Le méhari est pour ton père, qu’Allah le Clément et Miséricordieux le protège ! À toi aussi, je voulais faire un cadeau. Mais il n’y en a qu’un qui soit digne de la pensée que j’ai de toi, et je ne pourrai te l’offrir que lorsque nous nous rencontrerons là-haut, dans la grande rivière du ciel.
Il la regarda s’éloigner en direction de Mekka. Tout du long, elle eut la force de ne pas se retourner. Elle sentait son regard sur elle.
Les choses allaient ainsi entre
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