Fatima
avait aimé se tenir.
Y venir et appeler Abd’Mrah.
Elle ne pouvait y demeurer longtemps. Ashemou, la tante Kawla ou une servante risquait de la chercher, de s’inquiéter, de la démasquer.
Elle maudissait cette surveillance, se promettait de se relever au coeur de la nuit pour retourner sur la terrasse. Mais, le premier et le deuxième soir, le sommeil avait eu raison d’elle. Elle ne s’était réveillée qu’à l’aube. Les étoiles, depuis longtemps déjà, s’étaient retirées.
La nuit suivante, une chose extraordinaire se produisit. Comme les jours précédents, Fatima se coucha dans la chambre qu’elle partageait avec Ashemou. Au plus noir de la nuit une force la réveilla. Elle ouvrit les yeux et faillit crier. Dans l’obscurité épaisse, le visage d’Abd’Mrah lui faisait face. On eût cru qu’une très subtile lumière épousait ses traits. Ou, quand ce n’était pas son visage qu’elle voyait, apparaissaient ses longues mains. Ou ses lèvres mobiles, la fine peau de son cou. Elle se redressa sur sa couche.
Le visage d’Abd’Mrah s’évanouit d’un coup dans le noir. Mais il en subsista quelque chose. Un souffle, un appel que Fatima comprit aussitôt.
Sans un bruit, elle quitta son lit. Plus silencieuse qu’un fennec, elle rejoignit la terrasse.
Alors commença l’autre magie. Les yeux perdus dans le lac de nuit aux deux étoiles scintillantes, elle se sentit capable de parler à Abd’Mrah. Aussi loin d’elle qu’il se trouvât en cet instant, elle était certaine qu’il pouvait entendre ses pensées comme elle entendait son murmure, voyait ses sourires, l’ironie soyeuse de ses yeux.
Et cela se reproduisit dix fois. Nuit après nuit, la magie eut lieu.
Une magie que Fatima ne pouvait ni expliquer ni confier à quiconque. Pas même à Ashemou.
Un secret qu’elle commença à porter avec autant de joie que de peur. Elle tremblait que son père ne l’apprenne. Lui qui ne manquait jamais de le clamer fortement à tous et à chacun :
« La magie est un mensonge, l’oeuvre des démons et des ennemis du Rabb Clément et Miséricordieux. »
Mais le bonheur de la présence d’Abd’Mrah, la beauté du ciel d’étoiles et de leurs rencontres étaient trop grands. Fatima repoussait ses craintes.
Jusqu’à ce soir-là.
Pour la première fois depuis son arrivée à Ta’if, elle avait peur.
Terriblement peur.
Elle s’était éveillée, comme toutes les nuits, avait ouvert les yeux. Mais l’obscurité était demeurée vide.
Avec un frisson d’effroi, elle avait murmuré le nom d’Abd’Mrah. En vain. L’immensité ténébreuse de la chambre avait seulement résonné d’un gémissement d’Ashemou, comme si l’ancienne esclave faisait un mauvais rêve.
Immobile sur sa couche, Fatima avait attendu. Et attendu. Une sinistre anxiété s’était glissée en elle. Puis un froid qui ne devait rien à la fraîcheur des nuits en montagne. Elle n’avait plus supporté de patienter. Malgré sa crainte de réveiller Ashemou, elle avait encore prononcé le nom d’Abd’Mrah. D’abord sans bouger les lèvres. Puis tout doucement.
Rien n’était venu en retour.
Elle avait roulé hors de son lit, grimpé sur la terrasse, serrant les mâchoires pour ne pas claquer des dents.
Là-haut, son regard était allé droit au lac de nuit.
Il avait disparu.
Un nuage, un unique nuage aux contours nettement dessinés par les feux de la Voie lactée, l’effaçait.
Les genoux de Fatima avaient plié. Elle s’était accroupie contre la murette. Et maintenant, une étrange douleur l’empêchait de respirer. Mille questions terribles lui écrasaient la poitrine.
Toute la beauté des nuits passées n’était-elle donc qu’une illusion ?
S’était-elle véritablement livrée aux forces malignes des démons ?
Elle, la fille du Messager !
Durant ces nuits si merveilleuses, s’était-elle laissé abuser par le Mal, attisant la colère du Dieu de son père ?
Ô puisse-t-Il, puisse-t-Il demeurer Clément et Miséricordieux !
Mais non, Il ne le serait pas. Il ne l’était pas, elle le savait.
La vérité, depuis des jours elle l’entendait en elle, mais, toute à son bonheur de la magie perverse qui la saisissait chaque nuit, elle s’en était détournée.
Elle se mit à trembler. Pressa ses paumes contre ses paupières. Contre sa bouche aussi, pour ne pas crier sa honte.
À présent, elle comprenait tout : la douleur et l’impuissance qui s’étaient abattues
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