Fatima
fraudeurs !
— Ce n’est pas à vous qu’ils s’en prendront, intervint Abdonaï de sa voix rauque, mais au maître Muhammad. Et ils le feront sans courage, comme les lâches qu’ils sont. Ils ne montreront pas leur visage. Ils se dissimuleront derrière un fou ou un imbécile. Un étranger à qui ils promettront les femmes du paradis.
— Je suis d’accord avec Abdonaï, fit Abu Bakr. À la mâla, ils ne m’insultent plus, ils m’évitent seulement. Il faut demander à Muhammad de se montrer plus prudent.
Une exclamation d’ironie jaillit de la bouche de Tamîn. Il fit rouler son corps d’une jambe à l’autre.
— Abu Bakr ! Ne connais-tu pas Muhammad ? Crois-tu qu’il puisse être prudent ? Crois-tu que notre Rabb le veuille prudent ?
Au seul souvenir de ces mots, Fatima frissonnait à nouveau. Abdonaï, Tamîn et Abu Bakr avaient mille fois raison. Elle n’avait pas besoin de questionner les amis de son père pour savoir qui étaient ces mauvais sans courage et pleins de haine. Elle les connaissait autant qu’eux : le clan des Abu Makhzum, des Abd Sham, des Al Çakhr, des Abd al Ozzâ, les Omayya, les plus puissants des Qoraych et, pis encore, certains des Abd Manâf et des Abd al Muttalib de l’oncle Abu Talib. Son frère, le puant Abu Lahab, rêvait de le trahir pour prendre le pouvoir à sa place.
Autant dire des centaines.
En vérité, innombrables étaient les mains qui rêvaient de frapper Muhammad le Messager et de le faire taire, afin que le silence étouffe les paroles venues de son Rabb. Afin que cessent les menaces et les remontrances de ce Dieu qui affirmait par la bouche de Son Envoyé être le Seul et Unique Pouvoir du ciel sur les hommes.
Mais Fatima en était tout aussi certaine que le vieil Abdonaï : jamais son père ne se montrerait prudent. Et jamais les mauvais ne perdraient l’envie de le massacrer. Sa mère l’en avait prévenue :
— Ne quitte pas ton père, Fatima, mon ange ! Jamais, jamais… Tu es forte comme dix garçons. Aime ton père, protège-le comme je l’ai aimé et protégé. Promets-moi, ma Fatima d’amour. Promets-moi !
Les Bédouins
— Fatima…
Le chuchotement d’Ashemou la fit sursauter. Elle rouvrit les yeux. Son père et les autres demeuraient agenouillés dans leur prière silencieuse. D’un geste, Ashemou lui désigna la murette la plus proche du cimetière. Des dizaines de personnes les fixaient avidement. Des vieux aux visages rougis par le soleil du crépuscule, aux rides gravées par les jours de feu et les nuits de gel. Des femmes, certaines avec leur nourrisson serré dans un chèche sur leur poitrine. Des jeunes, aussi : des Bédouins aux manteaux de laine rêche à rayures sombres, quelques-uns déchirés, recouverts de poussière, rapiécés plus ou moins habilement. Les tuniques des femmes étaient sombres pour les plus âgées, vives et colorées pour les jeunes. Des Bédouins comme on en trouvait tout autour de Mekka en cette saison. Chaque automne, ils venaient s’abriter du vent et dressaient leur camp sur les pentes d’al Ahmar, en bordure de la route de Ta’if, tout près des puits d’al Bayâdiyya.
— Regarde, murmura encore Ashemou.
Sur le côté du groupe se tenaient sept très vieux bergers. Des hommes aussi âgés que Waraqà ou Abu Talib, plus noueux que les bâtons sur lesquels ils s’appuyaient, mais encore droits et dont les yeux, dans le crépuscule, paraissaient scintiller comme du métal. Des patriarches. Ceux à qui chaque Bédouin devait un absolu respect. C’était eux, à n’en pas douter, qui avaient conduit leurs familles jusqu’aux limites du cimetière pour voir Muhammad le Messager prier sur la tombe de son épouse Khadija bint Khowaylid, celle qui les avait tant aidés autrefois.
Une onde de reconnaissance détendit Fatima. Peut-être Ashemou avait-elle raison. Peut-être n’étaient-ils pas si faibles et si peu nombreux qu’elle le croyait.
À cet instant, son père se ploya jusqu’à poser le front sur sa natte. Puis il se redressa avec aisance. Lança un sonore : « Allah Akhbar !» qui sembla réveiller ceux qui l’entouraient. Ils l’imitèrent. Ashemou s’empressa d’aider Kawla à relever la cousine Muhavija. Fatima vit Ali et Zayd en faire autant avec l’oncle Abu Talib et Waraqà, tandis que son père s’approchait des vieux Bédouins. Lui aussi les avait remarqués.
Fatima s’éloigna du groupe des femmes pour le suivre. Abu Bakr et Tamîn lui
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