Fatima
reine de Saba ! s’écriaient les unes.
— Dieu veut que tu sois la plus belle pour ton époux, disaient les autres. Comme il va t’aimer, avec de si beaux cheveux !
— Qu’Allah est Grand ! s’enthousiasmaient encore d’autres. Il t’a rendue malade pour t’accorder une beauté d’ange. Il t’aime et veut pour toi le plus grand achèvement…
Sous la profusion étouffante des compliments, Aïcha riait. Ses yeux, magnifiques, scintillaient de bonheur, comme si la fièvre ne les avait pas voilés durant près d’une lune. Ils étaient clairs et légers, aussi, comme son rire retrouvé. Perçants et intelligents. Capables d’affronter ceux de Fatima l’unique fois où celle-ci entra dans la pièce afin de mesurer elle-même l’ampleur du miracle.
De même qu’à Mekka, leurs regards instinctivement se nouèrent et s’affrontèrent. Ce qui frappa Fatima et pénétra son coeur, ce ne fut ni la grâce d’Aïcha ni la splendeur de sa chevelure. Ni sa gaieté, sa légèreté ou ses sourcils d’oiseau. Non. Les femmes de la maisonnée voyaient sans voir et se laissaient éblouir par la splendeur des apparences. Car loin dans les pupilles, et aussi sur l’ourlet des lèvres de la promise de Muhammad, une ombre palpitait. Un calme étrange et puissant que Fatima n’avait jamais éprouvé elle-même. Une gravité surprenante dans ce visage de petite fille.
Et dans le regard que l’enfant Aïcha lui retourna, Fatima vit que la promise de son père en savait déjà beaucoup.
Allah les tenait toutes les deux sous Sa paume. Elles étaient l’une et l’autre soumises à Sa volonté. Mais jamais elles ne deviendraient amies. Jamais.
Épouse et fille de l’Envoyé, jusqu’à la fin de leurs jours elles demeureraient comme les deux faces d’une même lame. L’une en serait le fil qui tranche et coupe. L’autre l’éclat lisse et souple.
Juifs et adeptes d’Allah ensemble
Jusqu’au printemps nouveau, les cheveux roux d’Aïcha poussèrent et embellirent, devenant si magnifiques que de partout autour de Yatrib les nouveaux croyants venaient les effleurer et y raffermir leur foi toute fraîche.
L’épreuve surmontée des questions devant les rabbis produisit son effet miraculeux. Les disputes qui, depuis de nombreuses années, dressaient les Aws et les Khazraj contre les Juifs de Yatrib, les Banu Zafr, les Banu Salma, les Banu Nabit ou les Banu Zuraya, se résolurent comme par miracle.
De la main de Zayd et d’Ali, Muhammad fit rédiger les règles de bonne entente, de soutien et de justice auxquelles les uns et les autres devraient à l’avenir se soumettre. Ces règles les liaient dans une même communauté contre les menaces incarnées par les païens et les idolâtres, surtout ceux de Mekka.
Juifs et non-juifs de Yatrib se soumettaient aux lois du Dieu du Livre. Ils reconnaissaient en Muhammad leur nâbi, comme chacun désormais le nommait, leur juge et leur garant de paix et de justice.
Palabres, bouderies et réconciliations, voilà ce que furent les débuts de ces temps de nouveauté. Le Juif ben Shalom, puissant des Banu Salma, devint véritablement l’ami de l’Envoyé et le soutint plus d’une fois lorsque les rabbis discutaient à l’infini de l’interprétation des lois de Moïse. Le jour où Muhammad, dans son prêche avant la prière du crépuscule, dressa devant tous ceux de la cité le rouleau des Lois de Yatrib, ben Shalom se plaça à son côté :
— Écoutez ! s’exclama-t-il après que Muhammad se fut tu. Écoutez et regardez !
Les bras tendus, les paumes levées face au ciel, dans un mouvement qui ressembla à un pas de danse et attira quelques sourires, il pivota sur lui-même.
— Si je me tourne vers la madrasa, je m’appelle ben Shalom. Si je me tourne vers la maison de l’Envoyé d’Allah, je m’appelle ibn Salam. Pourtant, je n’ai qu’un corps, qu’une tête, une seule bouche, un seul coeur. Pourquoi cela est-il possible ? Parce que le plus précieux nous réunit : nous sommes les fils d’Abraham, d’Agar et de Sarah. Nous n’avons qu’un Livre, et il n’est de Dieu que Dieu. Notre Seigneur nous adresse Ses anges, Ses prophètes et Ses lois. Il est Un, et Il est mêmement Clément et Miséricordieux à ben Shalom et à ibn Salam. Allah ou Yahvé, seules les lettres changent. Lui demeure le Seigneur des mondes, l’Engendreur de toute vie, le Souverain du jour de Créance, le Rabb des univers [27] . Sa foudre et Sa volonté sont
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