Fatima
lumineux que le soleil lui-même.
Au milieu de la journée, alors que des nuages serrés comme un troupeau de mahas voilaient le ciel, Zayd n’eut plus la patience d’attendre. Il courut à la rencontre de Fatima sur les chemins des jardins. Elle portait un lourd couffin rempli de cardons piquants. Il le lui retira des mains et le jeta sur son épaule, dansant presque :
— Notre père a répondu aux rabbis ! L’ange l’a visité de nouveau !
Son excitation était grande et les mots jaillissaient de sa bouche :
— Ce jour est merveilleux. Merveilleux ! Allah nous ouvre la voie ! Tu avais raison. Il ne fallait pas douter. Notre père est si joyeux qu’il a baisé le front d’Abu Bakr. Après la prière de l’aube, il nous a dit : « Allons devant les Juifs de la madrasa. » Ali, Abu Bakr, Omar et moi, nous l’avons accompagné. En route, il nous a dit : « Les rabbis attendent mes réponses depuis trop longtemps. J’ai usé leur patience, maintenant je vais user leur mémoire. » Ses yeux brillaient de bonheur. Il a ajouté : « Vous, pas un mot. Mais écoutez et retenez ce que je vais dire. » Zayd posa le couffin au sol pour mieux raconter :
— Toi aussi, tu aurais pleuré de joie si tu avais entendu les réponses de notre père. Elles étaient si parfaites, et avec tant de détails que les vieux Juifs de la madrasa eux-mêmes ignoraient, qu’en l’écoutant ils se sont mis à s’agiter sur leur siège comme des palmes séchées dans le vent du nord. « Ah, nâbi, nâbi ! Serais-tu plus sage que nous ? Ah, il n’y a pas de doute : prophète, tu l’es véritablement ! Fils d’Abraham, tu l’es ! Que le nom de Yahvé résonne dans l’Éternité !» Notre père leur a répondu : « Ne vous étonnez pas. Ma réponse a tardé car j’ai commis une faute. Je vous ai dit : “Demain je viens vous voir et je saurai…” Mon Rabb s’est irrité de mon arrogance. Il m’a fait patienter. Il a rendu malade mon épouse Aïcha, qui n’a pas encore dix ans. Et moi, j’ai dû comprendre Ses signes. Cela m’a pris des jours. Enfin, je suis allé tenir la main brûlante de fièvre de mon épouse nouvelle. Elle qui avait perdu ses cheveux comme si elle naissait de nouveau ! Alors l’ange Gabriel m’a visité. Il m’a parlé et m’a donné les réponses à vos questions. Sans Lui, je ne serais qu’un ignorant, aussi ignare qu’une araignée. Louange à Allah ! Le Tout-Puissant a révélé le Livre à Son serviteur ! Mais Il m’a aussi réprimandé par la voix de l’ange. Il m’a dit : “Ne t’avance plus à promettre telle ou telle chose pour demain ou pour après-demain.” Il m’a dit : “Si tu t’engages envers l’un ou l’autre, ajoute aussitôt : Inch Allah [26] .” De la brise dans les jardins de Yatrib à la fièvre d’une épouse, rien n’advient qui ne soit la volonté d’Allah. Là-dessus, pas de discussion ! Il n’en est pas d’autre que Lui pour décider et donner les réponses aux questions. »
Dans son enthousiasme à imiter le ton de son père adoptif, Zayd n’avait pas remarqué que, dès qu’il avait prononcé le nom d’Aïcha, le visage de Fatima était devenu glacial.
Elle demanda :
— C’est ce que notre père a dit ? Au sujet d’Aïcha, c’est ce qu’il a dit ?
— Bien sûr, s’extasia Zayd. Qu’Allah l’avait rendue malade pour qu’il lui prenne la main et puisse de nouveau entendre l’ange Gabriel ! Ah, maintenant, qui osera encore prétendre que notre père n’est pas l’Envoyé d’Allah ?
Le lendemain, dès qu’il fut possible de bien y voir, ce fut au tour de Kawla de sortir de la chambre d’Aïcha en ameutant toute la maisonnée :
— Ses cheveux repoussent ! s’écria-t-elle, les larmes aux yeux. Venez voir : les cheveux d’Aïcha repoussent ! Quelle merveille !
C’était vrai. Un très fin duvet roux recouvrait le crâne de la fillette. Il ne tarda pas à s’épaissir. Chaque matin, la tante Kawla et la mère d’Ali introduisaient les femmes de la maison dans la chambre d’Aïcha. Toutes, elles lui caressaient la tête en s’extasiant. Les exclamations fusaient, aussi bruyantes que des caquètements de basse-cour : « Comme cette nouvelle chevelure pousse vite ! Comme elle est épaisse, douce et frisée ! Quelle abondance prodigieuse ! Quelle magnifique toison aura la jeune épouse de Muhammad !»
— Ma fille, pour tes épousailles, tu seras plus belle que la
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