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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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assouvi ses sens, son employeur laissait toujours entendre que ce serait la dernière fois. Pouvait-elle vraiment espérer que ces deux grandes mains si fortes ne s'aventurent plus jamais sous sa jupe ?
    Sous la lumière électrique, le grand registre relié de toile verte demeurait ouvert, poussé sur un coin du large meuble. Au fond, cela semblait être devenu le fétiche de Thomas. Chaque fois qu'il vérifiait une addition, son érection revenait, puissante. Qu'il débusque ou non une erreur, si on se trouvait en fin de soirée et que les locaux de l'administration paraissaient déserts, cela signifiait un «Marie, venez ici. Quelque chose m'échappe dans ce registre».
    Souvent il devait réfréner ses envies car des employés étaient susceptibles de venir frapper à sa porte. Parfois, Marie arrivait finalement à se dégager de ses grands bras en plaidant:
    —    Ce soir, il y a une répétition de la chorale.
    Cet argument apparaissait comme le meilleur: un retard jetterait le doute dans l'esprit de la vingtaine de grenouilles de bénitier qui composaient ce petit aréopage. Déjà, cet homme s'effrayait que des visites au bordel puissent faire jaser, au point de préférer abuser d'une de ses employées. Bien sûr, dans une petite ville comme Québec, impossible de ne pas y croiser une connaissance, sinon un collègue. Il ferait tout pour que jamais un baryton, tailleur de cuir dans une manufacture de chaussures pendant la journée, ne le soupçonne de séduire un membre de son personnel.
    Et pourtant, malgré les risques inhérents à ce genre de relation, à une demi-douzaine de reprises l'examen du grand registre s'était terminé avec Marie troussée jusqu'à la taille, sur le dos ou sur le ventre en travers du grand bureau.
    —    Mieux vaut sortir discrètement. J'y vais le premier.
    Thomas décrocha son paletot de la patère pour le revêtir,
    prit son chapeau et quitta la pièce sans se retourner. Cette nouvelle intimité valait un curieux privilège à la secrétaire. Comme les chefs de rayons, elle possédait maintenant la clé d'une petite porte dérobée, à l'arrière.
    Seule dans le grand édifice, elle éteignit toutes les lampes des bureaux de l'administration avant d'aller poser le front contre la vitre de la grande fenêtre donnant sur la rue Saint-
    Joseph. Le contact très froid fit tomber sa fièvre. Déjà, l'obscurité étendait son manteau sur la paroisse Saint-Roch. Une ombre, semblable à celle d'un criminel, traversa la rue marchande en diagonale. De son pas vif, le patron rentrait chez lui. Passé sept heures du soir, le dernier samedi de novembre, il lui faudrait manger froid une fois encore.
    La jeune femme quitta les lieux à son tour, descendit l'escalier en se tenant à la rampe et traversa le long rez-de-chaussée. Les marchandises accumulées multipliaient les jeux d'ombres. Ceux-ci lui donnaient toujours l'impression que l'obscurité recelait de nombreux fantômes, prêts à lui crier « salope » si elle tardait un peu trop.
    Une fois à l'arrière de l'édifice, elle introduisit la lourde clé dans la serrure, demeura un long moment immobile, appuyée contre la porte. A la fin, elle donna un grand coup de son poing droit au bas de son ventre. Les larmes aux yeux, la jeune fille sortit enfin, verrouilla derrière elle et s'enfonça dans la nuit. Que la petite bonne de la maison de chambres découvre des traces de sperme sur ses vêtements devenait le dernier de ses soucis. Si cette gamine délurée savait compter, elle se douterait que dès la semaine précédente, la «ceinture» et les linges intimes auraient dû se retrouver avec le reste de la lessive.
    Dès les premiers jours de décembre, le magasin Picard prenait des allures de fêtes. Ici et là, des bandes de tissus rouges et verts pendaient du plafond pour former de grandes boucles le longs des murs et se dressaient des sapins décorés de boules de verre multicolores. De grands carrés d'ouate imitaient la neige. Au mépris des connaissances élémentaires de la géographie, des crèches vomissaient leurs personnages sur les faux flocons blancs. Les chameaux des Rois mages paraissaient particulièrement déplacés.
    —    Vous voyez, expliquait Elisabeth assise sur ses talons, le petit Jésus se trouve couché dans la crèche.
    —    C'est là-dedans que l'on place le foin ? interrogea Edouard, toujours terre à terre.
    —    ... Oui. Je te l'ai déjà expliqué, il est né dans une

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