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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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   ... Si vous voulez.
    Elle s'esquiva ensuite. Dans la salle à manger, face à un mur sans fenêtre, le commerçant termina son repas à moitié froid. Après quelques minutes d'attente, il décida de transporter la théière et l'une des tasses dans la bibliothèque, puis il se servit un grand verre de cognac avant de prendre place dans l'un des fauteuils. La tête rejetée en arrière, les yeux clos, il demeura longtemps immobile. Ce fut Elisabeth qui le tira de sa torpeur en murmurant:
    —    Vous devez être très fatigué.
    —    ... Oui, en effet, confirma-t-il après un moment d'hésitation.
    Il avala une gorgée de cognac en lui faisant signe de s'asseoir dans le fauteuil près de lui.
    —    Il y a un long moment que nous n'avons pas parlé ensemble.
    —    ... Après le voyage dans Charlevoix, je me sentais plutôt mal à l'aise, confia-t-elle à voix basse. J'ai un peu fait en sorte de vous éviter.
    Elle faisait allusion à ses confidences, murmurées dans le grand salon de l'hôtel.
    —Je vous suis tellement reconnaissante de ne pas avoir insisté.
    Plutôt que de répondre benoîtement «Vous savez, j'ai cherché ailleurs mes distractions», Thomas but encore un peu de cognac, puis fit tourner le verre entre ses paumes. La jeune femme demeurait toujours aussi ravissante. Sa lourde chevelure blonde accrochait la lumière de la lampe et prenait des reflets de la couleur du vieil or.
    —Je conserve toujours les mêmes sentiments à votre égard. Mais de vous voir tous les jours si attentionnée avec les enfants... Je ne voudrais rien faire qui puisse vous nuire, ou vous chasser de cette maison.
    En d'autres mots, la préceptrice incarnait si bien l'épouse et la mère parfaite qu'il tenait à garder sa réputation intacte : en quelque sorte, il la tenait en réserve, dans l'éventualité de nouveaux développements.
    —    Les enfants paraissent toujours progresser aussi bien...
    Ce terrain familier leur permit de retrouver tous les deux leur contenance. Pendant de longues minutes, Elisabeth l'informa du chapitre où Eugénie et Edouard en étaient respectivement rendus dans le livre en deux tomes acheté en mai à la librairie Garneau. L'absentéisme à l'école se trouvait si généralisé que, spontanément, plutôt que de dire d'un enfant qu'il se trouvait en première, deuxième ou troisième année, on se référait plutôt à un livre d'une série. Les plus longues en comptaient six.
    —    Pour Eugénie, je pense bien qu'il faudra acheter le second livre un peu après les fêtes.
    —A ce rythme, elle pourra faire ses études primaires...
    —    En trois ans.
    Le sujet de la scolarité les retint encore quelques minutes, puis la jeune femme se retira pour la nuit. Thomas inclina de nouveau sa tête contre le dossier du fauteuil, ferma les yeux. La scène de la fin de l'après-midi lui revint en mémoire, comme s'il la vivait encore. Marie pliée en deux, le haut du corps maintenu à plat sur le bureau avec sa grande main posée contre son dos, la jupe et le jupon troussés sur les hanches, les «Non Monsieur, non Monsieur, ce n'est pas bien ! » murmurés d'une voix chevrotante, contredits sans cesse par des frémissements de plaisir, des plaintes énamourées.
    « Elle doit avoir deux fois l'âge qu'Eugénie aura demain, songea-t-il bientôt, peut-être un peu plus. » A cette pensée, sa main serra si fort le verre que celui-ci se brisa. La douleur le fit jurer. Maladroitement, de la main gauche il chercha son mouchoir dans sa poche de pantalon du côté droit. En le dépliant afin de le poser sur la coupure dans sa paume, l'odeur de sperme lui rappela qu'il avait servi à débarbouiller un peu l'entrejambe de la secrétaire. Se pouvait-il qu'Elisabeth l'ait perçue? «De toute façon, elle ne peut pas savoir ce que
    c'est», se rassura-t-il immédiatement.
    Pendant quelques minutes, il demeura immobile, une froide angoisse se répandant dans tout son être. Son propre geste lui inspirait la nausée, mais en même temps le souvenir de ces moments ramenait son érection. Lentement, l'éducation reçue, largement faite de préjugés, lui avait fait placer les êtres humains dans des cases étanches, en particulier les femmes qui se divisaient en deux catégories: les bonnes, et les autres. Cela fit en sorte qu'il pût s'accommoder de son comportement.
    — Il n'y avait pas une goutte de sang, ce n'était donc pas la première fois pour elle, murmura-t-il dans un

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