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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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souffle. Puis encore, après une pause : dans ce milieu, laissée à elle-même en plus...
    Il voulait dire dans ce prolétariat grouillant, vivant dans la grande promiscuité des logis trop petits, des familles si nombreuses, avec des pères et des grands frères souvent saouls, l'innocence des jeunes filles demeurait un luxe inconnu. Quelques années plus tôt, dans le mille carré que représentait la paroisse Saint-Roch, quelqu'un avait répertorié soixante débits de boisson.
    Bientôt, la main endolorie, c'est presque rassuré que Thomas regagna le petit cagibi aveugle pour se coucher. Cette fille ne lui avait rien donné que quelqu'un d'autre n'avait pas déjà pris. Sa femme, sa fille, et même Elisabeth Trudel, appartenaient à un autre monde, se méritaient d'autres égards.
    Tous les chrétiens devaient, tous les jours de leur vie, se souvenir qu'à tout moment Dieu pouvait les rappeler à Lui. «Je viendrai comme un voleur.» Si ces mots hantaient chacun, le mois de novembre se montrait particulièrement propice à leur incessant martèlement. Il s'ouvrait sur la Toussaint, la fête de tous les saints, et le second jour servait à se remémorer tous les fidèles qui avaient déjà rejoint leur Créateur. Chacun visitait le cimetière à ce moment de l'année où les arbres tendaient leurs grands bras dénudés vers le ciel, l'herbe offrait au regard une teinte brunâtre, la terre toujours mouillée faisait penser à la putréfaction.
    Alice Picard ne pouvait pas se déplacer jusqu'au cimetière Saint-Charles où dormaient ses deux parents. Cela ne l'empêchait pas d'errer en ce lieu en pensée. Début novembre, au moment où Elisabeth venait la saluer, comme elle s'efforçait de le faire au moins une fois par semaine, la malade avait demandé d'une voix geignarde :
    —    Edouard parle en termes enthousiastes de la lecture à haute voix à laquelle il a droit au moment de se coucher. Pourrais-je en profiter aussi ?
    —    ... Bien sûr. Quand cela vous conviendrait-il ?
    Elle se trouvait dans son fauteuil, pâle et éteinte, comme si elle venait de sortir d'un cercueil afin de passer un moment dans le monde des vivants.
    —    Vous voyez le petit livre sur la table. Sautez le préambule et allez à la «Première considération»... directement au paragraphe marqué d'un trait rouge.
    Ces mots suffirent pour qu'Élisabeth sache sur quel terrain la maîtresse des lieux entendait l'entraîner. Saint Alphonse-Marie de Liguorî avait publié, au siècle précédent, un volume intitulé Préparation à la mort, organisé en «Trente-Six considérations». Les couventines, pour calmer les passions juvéniles susceptibles de les étreindre à l'âge de l'adolescence, se voyaient proposer cette prose lugubre.
    L'ouvrage relié de noir portait aussi le titre La Bonne Mort, sous lequel on le connaissait le plus souvent. Elle prit place sur la chaise placée près du fauteuil et commença par la phrase placée en exergue à la «Première considération»:
    —    Tu es poussière et tu retourneras en poussière.
    Puis elle enchaîna, comme on le lui avait indiqué, avec le second paragraphe :
    —    Imaginez-vous avoir sous les yeux le corps d'un homme qui vient de rendre l'âme. Considérez ce cadavre étendu sur ce lit. Voyez cette tête qui tombe sur la poitrine, ces cheveux en désordre et baignés encore des sueurs de la mort, ces yeux enfoncés, ces joues décharnées, ce visage livide, cette langue et ces lèvres aux teintes noirâtres, ces membres inertes et glacés ! A cette vue, tous pâlissent et s'épouvantent. Combien de pécheurs qui, en présence du cadavre d'un parent ou d'un ami, ont changé de vie et quitté le monde !
    «Quitter le monde, songea Elisabeth, en se faisant religieuse dans le cas des femmes, car au fond tous les amours se terminent de la même façon, par de la chair putréfiée. »
    Alice suivait le cours de ses pensées avec une efficacité redoutable :
    —    Cela pourrait être Thomas, cet homme... ou même Edouard.
    Tous les jours du mois de novembre, la préceptrice progressa dans les pages de cet affreux livre qui, sous le prétexte que les joies terrestres finiraient bien un jour, incitait à renoncer tout de suite à tout et à se préparer à mourir. Et sans doute, après une existence de mort-vivant, la perspective de la mort réelle devait apparaître comme une libération.
    Le 30 novembre, la lectrice en était rendue à la «Treizième

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