Faubourg Saint-Roch
les religieuses, ni l'opuscule de la baronne de Staffe, ne l'avaient préparée à bien comprendre une situation aussi absurde.
— Vous pourrez me pardonner? insista-t-il.
— Je ne crois pas avoir quoi que ce soit à vous pardonner. La question devrait aller à Marie Buteau et à votre femme.
Thomas reçut ces mots comme un coup au visage. Elle se leva pour quitter la pièce. Il fit de même, la saisit par le bras pour la retenir un moment et demander encore, ses yeux dans les siens :
— Le camée ?
— Jamais il ne m'a quitté.
Sur ces paroles, la jeune femme se précipita dans l'escalier.
Tous les protagonistes désiraient un mariage discret. En prime, ils eurent droit à une cérémonie d'une exceptionnelle morosité. Alfred et Marie entrèrent dans l'église par une porte dérobée et trouvèrent à la sacristie une nef en miniature. Le curé les attendait, chasuble sur le dos, étole autour du cou. Dans les premiers bancs, de part et d'autre de l'allée centrale, Emile Buteau et Thomas Picard se trouvaient déjà là.
L'officiant procéda promptement. Au moment voulu, les deux témoins apposèrent leur signature dans le grand registre paroissial. En moins d'une demi-heure, tout fut expédié. Le curé s'esquiva après des félicitations guère convaincues au nouveau couple, laissant le quatuor en tête-à-tête. Emile Buteau plaida des obligations aussi pressantes que mystérieuses et souhaita d'un ton vaguement ironique des années de bonheur et une nombreuse descendance à son nouveau beau-frère. Puis debout devant sa sœur, il tendit la main et lui dit:
— Je te souhaite d'être heureuse. Si nos parents avaient été là...
Un peu plus et il aurait ajouté: «ils t'auraient évité cette
déchéance». A la fin, il réussit à articuler:
— Bonne chance.
— Maintenant, commenta-t-elle d'un ton contenu, tu pourras consacrer toute ton attention à tes ouailles. Tu as enfin fini de t'inquiéter à mon sujet.
Elle aurait pu dire «pour moi». Le choix de ses mots soulignait si bien la nature de leur relation qu'Emile demeura un moment songeur, puis quitta les lieux après un salut de la tête.
Pendant ce temps, Thomas serra la main de son frère en esquissant un «merci» à peine audible. Comme pour souligner que ses difficultés s'estompaient, il avait remarqué en se rasant tôt ce matin que le côté gauche de son visage ne présentait plus ni œdème, ni couleurs malsaines. Puis il s'approcha de Marie, tendit la main. Celle-ci lui tourna ostensiblement le dos et déclara d'une voix ferme :
— Alfred, rentrons à la maison.
Se rendre rue Saint-Dominique ne prit que quelques minutes. Gertrude devait les surveiller depuis une fenêtre, car la porte s'ouvrit devant eux. Quand ils furent entrés et débarrassés de leurs manteaux, la domestique s'approcha de la jeune épousée pour la serrer dans ses bras de façon maladroite et déclarer d'une voix émue :
— Bienvenue chez vous, Madame.
Puis elle s'empressa de se réfugier dans la cuisine en reniflant. Marie demeura interdite, porta les yeux sur ses deux valises posées contre le mur. Cela ne l'aida pas à retrouver une contenance. Son mari avait demandé à un garçon de course du magasin d'aller les chercher à la maison de chambres. La veille, madame Giguère avait versé une larme pour souligner le départ de sa plus jeune pensionnaire, puis s'était consolée en recevant le loyer du mois de février en
guise de compensation pour le préavis trop court.
Alfred entoura la jeune femme de ses grands bras. Un frémissement parcourut le corps de Marie, fait tout à la fois de soulagement et d'inquiétude. Le désespoir l'avait engagée dans une union dont elle ne savait absolument pas quoi attendre.
Suivant le cours de ses pensées, l'homme lui susurra à l'oreille :
— Ne t'en fais pas, nous ne ferons pas une si mauvaise équipe.
— Maintenant, je n'ai que toi au monde.
— Ce qui donne une personne de plus qu'auparavant, n'est-ce pas?
Si le constat avait quelque chose de cruel, l'homme avait raison. Il continua:
— Tu pourras compter aussi Gertrude, à en juger par ce que nous venons de voir.
— Que sait-elle, au juste ?
—Je ne lui ai rien dit, mais je suppose qu'elle en sait plus que nous deux réunis. Viens ranger tes choses. J'ai pris la liberté de placer le cadeau de mariage offert par Thomas dans la garde-robe et la
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