Faubourg Saint-Roch
Je vous remercie.
En le ramenant à son récent veuvage, l'ecclésiastique le désarçonna un peu. Il prit place sur la chaise devant le lourd bureau, son interlocuteur regagna son siège.
— La démarche que j'entreprends aujourd'hui vous surprendra peut-être, commença Thomas en fixant son vis-à-vis dans les yeux. Je veux me remarier.
— ... Vous n'y pensez pas! Votre épouse a été mise en terre il y a quatre jours.
— Mais vous savez pertinemment que mon veuvage a commencé il y a des années.
Les impératifs de la chair paraissaient bien futiles au vieil ecclésiastique, qui tentait de donner l'impression qu'il les muselait depuis bientôt quarante ans.
— En plus, je dois tenir compte des besoins de mes enfants. Vous savez que je suis accaparé par mon travail. Ils ont besoin d'une mère.
— Votre fille ne se trouve-t-elle pas déjà chez les ursu-lines ?
— Depuis hier. Cela ne remplace pas une présence maternelle. Et je me rends compte que les nouvelles voyagent
rapidement.
L'ecclésiastique cligna des yeux, comme pour reconnaître l'efficacité des moyens de communication de l'au-delà. Il continua :
— Votre garçon pourrait suivre le même chemin. Vers le pensionnat, je veux dire.
— Je ne suis pas certain qu'enfermer des garçons avec des hommes vêtus d'une robe, incapables de faire face aux vicissitudes de l'existence, les prépare tellement bien au commerce.
Ces idées, que des journalistes osaient parfois mettre par écrit, demeuraient bien marginales encore. Pour les deux générations à venir, il paraîtrait tout naturel aux Canadiens français d'abandonner leurs garçons à des eunuques vêtus d'une robe noire.
— Au-delà des convenances un peu bousculées, je crois que rien n'empêche le remariage rapide d'un homme.
— En vertu du droit canon, vous avez raison.
—J'ai ici l'acte de baptême de la jeune personne. Elle est née à Sant-Prosper-de-Champlain.
Thomas tendit l'enveloppe qu'Elisabeth lui avait remise quelques jours plus tôt. Le curé l'ouvrit pour examiner le document.
— Dans les circonstances, continua le paroissien, peut-être conviendrait-il de procéder discrètement. Les bans...
— Cette personne est enceinte ?
— Non, bien sûr que non. Qu'allez-vous penser ?
— Elle habite sous votre toit.
Thomas pensa protester, mais il se rappela juste à temps que la préceptrice, en bonne chrétienne, confessait ses turpitudes à ce vieillard usé. Tout mensonge de sa part deviendrait ridicule.
— Elle s'occupe de mes enfants. Vous la voyez à l'église tous les dimanches.
— Maintenant que vous êtes veuf, cette situation pourrait porter à scandale. Elle devra habiter ailleurs d'ici à la cérémonie.
Le curé venait d'accepter de les marier. Mieux valait ne rien faire, ou dire, qui serait susceptible de l'amener à changer d'avis. Aussitôt, il consentit:
— Cela peut s'arranger. Elle viendra à la maison alors que je serai au travail, pour continuer ses leçons à mon fils.
— Pour ne pas prêter flanc aux remarques peu charitables, nous publierons les trois bans habituels. Quand pensez-vous vous marier?
— Le 25 juin prochain. C'est un samedi.
Le prêtre fit un signe d'approbation. Thomas préférait ne pas terminer cette rencontre sur une négociation où le meilleur rôle lui échappait. Aussi enchaîna-t-il en disant:
— Pourrai-je compter sur vous pour bénir ma nouvelle manufacture ?
— Vous voulez dire votre atelier de confection de manteaux de fourrure. Il se trouvera aussi à la Pointe-aux-Lièvres ?
L'homme répondit de nouveau d'un mouvement de tête. Décidément, le réseau d'informateurs de ce prêtre ne se limitait pas aux couvents et aux collèges.
—Je pensais à une cérémonie en juillet, précisa-t-il.
— Vous pouvez compter sur moi.
Un moment plus tard, le marchand retrouvait la fraîcheur de la rue avec plaisir.
— Aller vivre ailleurs ! s'écria Élisabeth en marchant de long en large dans le salon.
Désormais, ils n'avaient plus de raison de limiter leurs tête-à-tête à la bibliothèque.
—Je crois aussi que cela vaut mieux. Maintenant, les gens doivent s'en donner à cœur joie: la jolie femme dans la maison du veuf.
—Je n'ai pas les moyens...
— Voyons, sois un peu sérieuse.
Bien sûr, Thomas prendrait le coût de la pension à son
Weitere Kostenlose Bücher