Fausta Vaincue
attendrai avec vos compagnons à Lyon. De là nous gagnerons ensemble l’Italie et Rome… Mon cher Rovenni, dites à vos compagnons qu’il y a pour tous indulgence plénière… sans compter le reste. Quant à vous, vous savez ce qui vous attend… Partons maintenant. Il serait horrible que sur la fin de mes jours, j’aie la douleur de voir les meilleurs d’entre les nôtres égorgés par des truands !…
Sixte Quint, alors, s’avança jusqu’à la porte du pavillon.
– Mon fils, dit-il, êtes-vous là ?…
– Certes, Saint-Père ! Tout à votre dévotion ! répondit Pardaillan.
– Recevez donc ma bénédiction : c’est la seule vengeance que je veuille exercer contre vous. Adieu. Si les hasards de votre vie aventureuse vous conduisent un jour à Rome et que je sois encore de ce monde, venez sans crainte frapper aux portes du Vatican. A défaut de Sixte Quint, vous y trouverez sûrement M. Peretti, le meunier de la butte Saint-Roch…
– Saint-Père, cria Pardaillan, je reçois avec joie votre bénédiction, mais avec plus de plaisir encore l’invitation de M. Peretti, que j’ai toujours considéré comme un très habile homme ! En rentrant au Vatican, dites-le-lui de ma part, je vous en prie !…
– Brigand ! murmura Sixte Quint qui pourtant ne put s’empêcher de sourire.
Et il s’éloigna, suivi de ses gens d’armes et gentilshommes, tandis que le chœur des schismatiques enfin réconciliés, Rovenni en tête, entonnait avec plus d’ardeur que jamais le
Domine salvum fac pontificem…
Sixte Quint, en s’éloignant, murmurait :
– Oui, oui… misérables traîtres… deux fois traîtres !… Je vous ferai chanter, à Rome, sur un autre air…
En somme, et bien que Fausta lui échappât, le but de son voyage était atteint : il venait de détruire le schisme en le frappant au cœur même. Et ce fut avec un pâle et ironique sourire qu’il regagna la litière de voyage qui l’attendait au pied de la colline.
Une demi-heure après le départ du pape, Pardaillan, n’entendant plus rien, se hasarda à démolir en partie les fortifications qu’il avait élevées dans le pavillon. Ayant entrouvert la porte, il vit que l’esplanade et l’estrade étaient également vides. Alors il sortit, inspecta rapidement l’étendue du terrain de culture et ne vit plus personne.
– Ils sont ma foi partis, fit-il.
Alors il revint à l’esplanade et, pensif, s’arrêta près de la croix couchée sur le sol… la croix sur laquelle Fausta avait fait attacher Violetta par Belgodère.
– Pauvre petite chanteuse ! murmura-t-il, attendri. Pourquoi un tel supplice ? Elle n’est coupable que d’être trop jolie… Tiens ! qu’est-ce que ce papier ?…
Il se baissa, et arracha de la tête de la croix un large parchemin qui y avait été planté au moyen d’un clou, et sur lequel ce mot était tracé en caractères grecs :
– AIRESIS.
– Qu’est-ce que cela veut dire ? grommela Pardaillan.
– Cela signifie : Hérésie ! dit près de lui une voix grave.
Pardaillan se retourna et vit Fausta. Cette femme extraordinaire semblait n’éprouver aucune émotion ni des scènes tragiques qui venaient de se dérouler, ni du danger auquel elle venait d’échapper. Mais Pardaillan n’était pas homme à se laisser étonner par cette attitude.
– Hérésie ? fit-il aussi simplement que s’il se fût agi d’un entretien de table. Tiens ! hérésie !… Ma foi, je ne m’en serais pas douté. Et que veut dire « hérésie » ?
Fausta ne répondit pas. Elle le considéra quelques instants, cherchant peut-être à percer du regard cette enveloppe d’ironie et d’insouciance qui masquait la physionomie du chevalier.
– Vous m’avez sauvé la vie, dit-elle enfin. Pourquoi ?
Pardaillan releva sa tête fine sur laquelle les rayons du soleil mettaient à ce moment une sorte d’auréole.
– Ah ! fit-il, si vous me parlez ainsi, madame, si nous sortons de la folie furieuse des hérésies, des mises en croix, si nous échappons au cauchemar devenu mortel pour cette malheureuse et ce prêtre (il montrait les cadavres de Léonore et de Farnèse), si nous rentrons enfin dans le naturel, dans la vie par la question que vous me posez, je vous répondrai seulement ceci : j’ai vu une femme qu’on allait tuer ; j’ai vu des fauves se ruer avec des cris de mort sur un être sans défense, et sans me demander ni pourquoi ni comment, je me suis trouvé le fer au
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