Fausta Vaincue
portier de ne pas dépasser les deux cavaliers qui couraient devant lui sur la même route. Recommandation d’ailleurs inutile, songeait Bourgoing, car il était peu probable que le moine, avec sa mule, pût rejoindre Jacques Clément et son compagnon montés sur de bons chevaux.
Ceci posé, nous laisserons Jacques Clément et Pardaillan à cheval, et le frère portier à mulet continuer leur chemin et nous reviendrons à Blois, dans la chambre du roi. La scène que nous allons retracer se passait une semaine après la remise à Catherine de Médicis de la lettre payée à Maurevert cinq cent mille livres.
Pendant cette semaine, la vieille reine avait hésité, réfléchi, étudiant de près l’attitude des Guise et cherchant à surprendre sur leur visage le secret du crime qu’ils méditaient.
Ce jour-là, c’était le dimanche 12 novembre. Un épais brouillard montait de la Loire, à l’assaut de la colline sur laquelle s’étagent les rues de Blois. Il y avait eu repos, c’est-à-dire que les députés ne s’étaient pas réunis comme de coutume pour continuer l’élaboration du nouveau régime qu’on voulait arracher au roi. Dans les rues de Blois, on ne voyait Personne. Par contre, le château était encombré de seigneurs et il y avait foule dans les appartements royaux.
Un courrier venait d’arriver de La Rochelle, au grand étonnement des courtisans royalistes ou guisards unis dans une haine commune contre les huguenots. Que pouvait bien vouloir le Béarnais ?…
Comme preuve de confiance et de grande amitié, le roi avait ouvert devant tous la missive d’Henri de Navarre. Et il la lut à haute voix. En résumé, le Béarnais parlant au nom des protestants rassemblés à La Rochelle faisait une double demande :
1° Il demandait qu’on restituât aux huguenots les biens qui leur avaient été confisqués ; 2° Il réclamait pour eux la liberté de conscience.
Cette lecture faite, comme nous avons dit, à haute voix par le roi lui-même, fut accueillie par des huées, des rires, des menaces contre le messager, qui très calme et très digne attendait la réponse. De l’avis unanime, la première de ces deux demandes fut jugée impertinente et la deuxième extravagante.
– Que dois-je répondre au roi mon maître ? demanda le huguenot quand la tempête des rires et des menaces se fut un peu apaisée.
– Dites au roi de Navarre, dit Henri III, que nous réfléchirons aux questions qu’il nous soumet, et que, quand nous aurons pris une décision, c’est M. le duc de Guise, lieutenant général de nos armées, qui lui portera notre réponse…
Ces paroles soulevèrent des acclamations furieuses : c’était la guerre déclarée aux huguenots, et la guerre conduite par Guise, le pilier de l’Eglise !…
Cette réponse devait avoir d’incalculables conséquences.
C’est en effet après l’avoir reçue qu’Henri de Navarre prit la campagne avec son armée, résolu à conquérir les armes à la main ce qu’on lui refusait de bonne foi.
Quant à son messager, il s’était froidement incliné devant Henri III ; et se retournant, avait traversé les groupes de rieurs ou de furieux d’un tel air que les plus enragés lui avaient fait place. Dix minutes plus tard, sans se reposer, il remontait à cheval dans la cour carrée et sortait aussitôt de Blois. Ce messager s’appelait Agrippa d’Aubigné…
Voilà quels événements s’étaient passés en cette soirée de novembre.
Le roi, mis de bonne humeur par les acclamations qui avaient accueilli sa réponse, était resté jusqu’à dix heures, causant de préférence avec les gentilshommes de la Ligue, et faisant toutes sortes de caresses au duc de Guise. Enfin, le signal de la retraite avait été donné. Les appartements royaux s’étaient vidés. Le roi était dans sa chambre, aux mains de son valet qui préparait son coucher. Lorsque les préparatifs furent terminés, ce qui n’était pas une petite affaire, le roi enveloppé d’une vaste robe renvoya son valet de chambre en lui disant qu’il l’appellerait lorsqu’il serait temps d’éteindre les lumières.
A ce moment, la reine mère entra. Henri III, qui ne la voyait jamais en tête à tête qu’avec ennui ou avec une sourde terreur, ne put s’empêcher de faire une grimace.
– Mais, madame, fit-il, sans se donner la peine de dissimuler, je m’allais mettre au lit après avoir quelque peu examiné ce cahier des Parisiens. C’est inconcevable, madame,
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