Fausta Vaincue
gentilhomme s’inclina et sortit. Alors le roi murmura :
– Un fier sacripant, ce Maurevert !…
La reine, cependant, s’était levée et avait ouvert une porte. Le roi n’avait pas bougé de son coin de cheminée, et tendait ses mains vers le feu, bien qu’en réalité il fît chaud dans la chambre. Alors un certain nombre de gentilshommes, une quinzaine environ, entrèrent chez le roi, et la vieille reine elle-même referma la porte. Il faut ajouter que les deux pièces sur lesquelles ouvrait la chambre, l’une vers les jardins, l’autre vers la cour étaient gardées, non par des gens d’armes ou des valets, mais par des gentilshommes, de façon que nul au monde ne pût approcher et entendre ce qui allait se dire. Lorsqu’elle eut refermé la porte et rejoint sa place, Catherine se tourna vers ceux qui venaient d’entrer et dit :
– Asseyez-vous, messieurs…
Les gentilshommes s’assirent aussitôt sans objection, car il semblait que la distance qui les séparait du roi eût été sinon effacée, du moins très diminuée. Parmi ces gentilshommes, il y avait Crillon, le capitaine Larchant, Montsery, Sainte-Maline, Chalabre, Loignes, Déseffrenat, Biron, Du Guast, d’Aumont, et d’autres. Quand ils furent tous assis, le roi qui était à demi penché vers la flamme du foyer se redressa, les regarda un moment et dit d’une voix très calme :
– Messieurs, le duc de Guise veut m’assassiner…
Il serait difficile de donner une idée de l’effet produit par ces paroles. Pourtant, tous savaient depuis longtemps quelle était la crainte du roi. Bien mieux, ils savaient que cela allait leur être dit, avant d’entrer dans la chambre. Et pourtant, ces paroles furent comme un coup de tonnerre. Jamais le roi n’avait parlé de ces choses avec une telle netteté, et ils comprirent que la situation était soudainement devenue terrible. Ils se regardèrent donc, tout pâles, et quelques-uns d’entre eux, se levant, dégainèrent comme si le duc de Guise eût été là… Le roi les calma d’un geste et ajouta :
– Tant que j’ai pu douter, tant que j’ai pu fermer les yeux, je me suis refusé à croire à la méditation d’un tel crime chez un homme que j’ai comblé de mes bienfaits. Aujourd’hui, messieurs, il faut que je prenne une décision, car je dois être tué avant la Noël… Or, je vous ai réunis pour vous demander votre aide et vos avis. Parlez le premier, Crillon…
– Sire, dit Crillon, s’il s’agissait d’un plan de bataille, je vous donnerais mon avis, comme c’est mon métier de frapper de l’épée, et de préparer des embuscades à l’ennemi. Mais il s’agit d’un crime, et il me semble que cela regarde vos gens de loi…
– Ainsi, fit le roi, vous me conseillez de traduire le duc devant une cour de justice ?
– C’est ainsi que l’on procède pour tous les criminels, sire. L’accusé se défend. Si son crime est prouvé, on le condamne et on l’exécute…
Biron et quelques autres appuyèrent d’un geste.
– A moins, dit Henri III avec un pâle sourire, à moins que les amis de l’accusé ne l’enlèvent pendant le jugement et n’exécutent l’accusateur. Votre conseil ne vaut rien, Crillon !
– Sire, je suis soldat…
– Donc, reprit le roi après un moment de silence, en dehors du jugement, vous ne voyez pas ce qu’on peut faire à un traître, à un félon qui conspire contre la vie de son roi ?
– Non, sire, dit froidement Crillon. Plus le crime est énorme, plus il est de l’intérêt du roi de le faire éclater au grand jour.
– Mauvais conseil répéta Henri III de sa voix lente et basse. Ce qu’il faut faire, je vais vous le dire, moi !… Celui qui veut tuer, on le tue !… Vous parliez d’embuscades contre l’ennemi… eh bien, on dresse une embuscade, on y attire le félon, et on le tue comme une mauvaise bête… Vous en chargez-vous, Crillon ?
Le rude capitaine s’inclina, secoua la tête, et dit :
– Sire, ordonnez-moi de provoquer le duc de Guise. Je le provoquerai au milieu de ses gentilshommes. Et quand nous aurons croisé le fer, en plein jour, devant tous, Dieu décidera entre sa cause et la mienne…
– Je me méfie de Dieu en pareille occasion, dit sourdement le roi.
– C’est-à-dire que Votre Majesté se méfie de mon épée ! Je puis être vaincu, c’est vrai, car le duc est un rude maître en fait d’armes. Mais si je suis vainqueur, j’aurai sauvé mon roi sans
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