Fausta Vaincue
secondaient loyalement dans ses intentions.
En quittant la salle des séances, le roi avait regagné ses appartements et tenu réception dans le salon d’honneur qu’on montre encore aux voyageurs visitant le château de Blois. Peut-être le duc de Guise avait-il répandu quelque mot d’ordre parmi les siens, car les députés de la noblesse se montraient joyeux et empressés, ce qui terrorisait le malheureux roi en proie aux affres de l’épouvante et s’attendant à chaque instant à recevoir le coup de poignard.
Cependant, Henri III faisait bon visage parmi tous ces ennemis mortels qui lui souriaient. Et c’eût été un effroyable spectacle pour l’Asmodée qui eût pu, sous ces masques, lire clairement la terreur et la haine. Et il ne fallait pas peu de courage à Henri III pour se montrer paisible. Il était d’ailleurs soutenu par le regard fixe et ferme de Catherine, qui ne le quittait pas des yeux et jouait cette suprême partie avec la force d’âme et l’intrépidité d’une mère qui veut sauver son fils…
Son plan était admirable. Il consistait à inspirer à Guise une sécurité absolue.
Le roi commença par prendre à part le duc de Mayenne et lui promit le gouvernement du Lyonnais. Mayenne se confondit en remerciements sincères, et dans son gros bon sens pensa :
« Ouais !… Si Henri tient parole, il me donne plus que ne me donnerait mon frère. Seulement… tiendra-t-il parole ?… »
Au cardinal de Guise, Henri III promit la légation d’Avignon. A M. d’Espinac qui venait de lancer un libelle contre lui, il dit à haute voix :
– Un homme de votre valeur est précieux. A dater d’aujourd’hui, vous faites partie de mon conseil privé.
Rencontrant Maineville, il ajouta :
– Je sais combien M. le duc vous estime. Cela seul me serait un garant si je n’avais pour vous la même estime. Monsieur de Maineville, j’ai donné l’ordre à ma chancellerie de préparer votre brevet de nomination au Conseil d’Etat.
Pendant une heure, selon une liste arrêtée dans la nuit même, le roi fit pleuvoir les faveurs autour de lui… Les royalistes enrageaient, les ligueurs allaient d’étonnement en stupéfaction… Guise songeait :
« Il se livre à nous pieds et poings liés… »
Enfin, après avoir évolué, souri, chuchoté des promesses, distribué des rentes, Henri III, sur un signe de sa mère, porta le dernier coup.
– Monsieur le duc ? fit-il à haute voix.
– Me voici, sire ! dit le duc de Guise qui, tout en surveillant ces évolutions du coin de l’œil, causait d’un air riant avec Crillon.
A l’appel du roi, le Balafré s’élança et s’inclina devant Sa Majesté.
– Vous êtes grand maître, duc ? fit le roi.
– Je le suis, en effet, répondit Guise.
– Comment se fait-il, en ce cas, que vous ne jouissiez pas pleinement de toutes les prérogatives attachées à votre dignité ?…
– Sire… je ne comprends pas, dit le Balafré sur ses gardes.
– Morbleu ! reprit Henri III en jetant un regard de colère sur sa mère et sur Crillon, je veux que toutes ces défiances finissent ! Je veux que la paix ne soit pas seulement dans les paroles, mais dans les actes !… Je ne veux plus de ces suspicions qui me rompent la tête, et puisque c’est le grand maître qui doit tenir les clefs du château, dès ce soir, duc, vous aurez les clefs !…
A ces mots, il se fit un grand silence, puis presque aussitôt un grand murmure où il y avait de la stupéfaction chez les royalistes, une joie sourde chez les guisards, et presque de l’admiration pour tant de confiance.
C’était en effet une des prérogatives du grand maître que de détenir et d’emporter tous les soirs les clefs du château. Mais jamais Guise n’eût osé la réclamer, cette prérogative, sous peine d’avouer ouvertement qu’il avait de mauvais desseins contre le roi. Henri III, en offrant lui-même de confier les clefs du château au duc de Guise en de pareilles circonstances, faisait donc preuve ou d’une sublime confiance, ou d’un incroyable aveuglement.
On peut dire que c’était là un coup d’une prodigieuse habileté. Ses résultats immédiats furent : d’une part, que les seigneurs royalistes se promirent de veiller plus que jamais à la sûreté du roi ; d’autre part, que les Guise se trouvèrent comme déroutés, désemparés. Leur plan d’attaque était changé : il fallait ou se servir de ce nouvel avantage, ou étudier les
Weitere Kostenlose Bücher