Fausta Vaincue
il ne trouva plus d’horreur… Pourtant il ne se livrait pas. Il demeurait glacial, un coin de songerie seulement au fond des yeux.
– Monsieur, dit Fausta, d’une voix intraduisible, comme pourrait en avoir une morte, si les morts parlaient, monsieur, plus ne m’est rien, rien ne m’est plus. Je ne suis vivante qu’en vous. M’acceptez-vous telle que je suis dans votre pensée, dans votre cœur, dans votre vie ?… Telle que je suis criminelle, peut-être, hideuse, sans doute, capable sûrement d’inspirer l’effroi et l’horreur par mes actes, car mes actes viennent de pensées incompréhensibles. Telle que je suis… c’est-à-dire une passion en marche, car j’ai tout fait, tout pensé, tout agi avec passion. Non responsable, dis-je, de mes gestes extérieurs qui ont pu étonner le vulgaire, niais qu’un homme comme vous peut comprendre… Un mot : m’acceptez-vous ? Je vis ! Vous écartez-vous de moi ? Je suis morte… Un mot ! Non ! Pas même : un geste. Si je dois vivre, tendez-moi la main…
Pardaillan eut un long frémissement. Sa main s’agita faiblement comme pour se tendre vers la main de Fausta. Puis tout à coup, cette main demeura immobile. Le visage de Pardaillan se fit plus fermé, plus glacial. Cette pensée foudroyante venait de traverser son cerveau :
« Elle ment ! Ce n’est pas sa mort qu’elle veut ! C’est la mienne… »
Et il ne bougea plus… Fausta poussa un soupir atroce. Elle leva vers le ciel noir et chargé de neige ses yeux profonds. Et au bord de ses paupières, Pardaillan vit scintiller deux larmes, diamants purs qui se volatilisèrent au feu de ses joues enfiévrées…
En même temps, Fausta rassembla les rênes de son cheval. Puis, brusquement, elle frappa la bête d’un coup d’éperon furieux, en la maintenant tête au parapet du pont. Et elle lâcha les rênes. Le cheval se cabra, hennit de douleur, et dans le même instant, franchit le parapet, sauta, tomba dans le vide… Dans la seconde qui suivit, Fausta disparut dans les tourbillons de la Loire…
– Fausta ! hurla Pardaillan.
Et ce nom qu’il prononçait ainsi pour la première fois, ce nom retentit en lui-même comme un coup de tonnerre qui suit l’éclair. Or, à la lueur de cet éclair qui incendiait sa pensée, Pardaillan lut dans son esprit ce sentiment qui l’accabla de stupeur et d’épouvante :
« Je ne veux pas qu’elle meure ! Je n’ai jamais voulu qu’elle meure ! »
Dans le même moment, Pardaillan sauta par-dessus le parapet ; en un temps inappréciable, de sa selle, il bondit sur le rebord de pierre, et de là, dans le vide… dans la Loire !… Pardaillan alla d’abord au fond de l’eau… Mais il garda la conscience précise de tous ses faits et gestes.
L’eau grondait à ses oreilles. Il était aveuglé. Ses vêtements le gênaient. Mais d’un vigoureux coup de talon, il remonta à la surface ; un remous le prit alors, et pendant quelques instants, il disparut encore sous les eaux grises… puis sa tête se montra, il jeta un rapide regard devant lui, et vit le cheval de Fausta qui, nageant vigoureusement, essayait de se diriger vers le bord…
Mais elle ! oh ! elle !… il ne la vit pas. Et de cette même voix d’angoisse et de sanglots qui l’avait épouvanté, il cria éperdument !
– Fausta !…
Tout à coup, il la vit !… Elle roulait avec les flots sales de la Loire. Elle se laissait entraîner. On ne voyait en elle aucun de ces gestes instinctifs qu’ont tous ceux qui se noient même quand ils ont voulu fortement la mort. Peut-être était-elle morte déjà…
Pardaillan se mit à nager vers elle, dans une telle ruée, dans une si violente volonté de la rejoindre, qu’il semblait fendre les eaux. Au moment où Fausta allait s’abîmer tout à fait sous les flots, il la saisit par un bras…
Quelques minutes plus tard, Pardaillan prenait pied sur un rivage bas et sablonneux, non loin de l’endroit où le cheval de Fausta venait lui-même de regagner le bord et se secouait. Fausta n’était pas évanouie. Elle venait d’ouvrir les yeux et considérait Pardaillan avec une mortelle expression de désespoir et de reproche. Elle se releva enfin et, durement, demanda :
– Pourquoi ? De quel droit m’avez-vous empêchée de mourir ?…
– Appuyez-vous sur mon bras, fit Pardaillan avec une grande douceur, avec une voix que Fausta ne lui connaissait pas. Appuyez-vous sur mon bras, et je vous conduirai
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