Fausta Vaincue
madame, du spectacle de ce bonheur créé par vous, vous seriez si heureuse vous-même que la couronne royale ou la tiare des papes vous sembleraient de pitoyables moyens d’être heureuse. Voyons, un mot de vous, un pauvre petit mot, et voilà deux êtres bien heureux… Voyons, madame, qu’avez-vous fait de Violetta ? Où est-elle ?… J’ose vous assurer que si vous ne me répondez pas, je serai forcé d’en venir à de rudes extrémités…
Pardaillan se tut. L’église, comme il disait, fut pleine de silence. Des parfums d’encens flottaient encore, et seuls, deux enfants de chœur allaient et venaient éteignant les cierges.
– Madame, reprit Pardaillan, songez que j’attends votre réponse : où est la petite bohémienne Violetta ?
Fausta jeta un rapide regard autour d’elle. Elle se vit seule, à la merci du chevalier. Et comme elle avait résolu de ne pas mourir encore…
– Je l’ignore, dit-elle dans un souffle. Cette enfant ne m’intéresse pas. Elle n’est rien pour moi…
Pardaillan tressaillit. Fausta reprit de sa voix morne :
– Ne vous l’ai-je pas dit à Paris, dans mon palais, alors que je n’avais nul besoin de déguiser la vérité ? Ce qu’est devenue cette enfant, je l’ignore depuis qu’elle appartient à M. de Maurevert.
Pardaillan pâlit. Il n’y avait pas moyen de douter de ce que disait Fausta. D’abord, il lui semblait qu’elle était incapable de mentir. Et ensuite il était bien évident qu’elle n’avait eu aucun intérêt à mentir dans leur rencontre à Paris. Ce n’était donc plus du côté de Fausta qu’il fallait chercher : seul Maurevert pouvait parler.
– Adieu, madame, dit-il d’une voix altérée par l’émotion. J’éprouve ici une cruelle déception. Mais, dois-je vous le dire, je suis encore heureux de savoir que du moins, dans cette recherche, je ne vous ai point pour ennemie.
Et il fit un mouvement pour se retirer.
– Je ne suis pas votre ennemie, dit Fausta à ce moment.
Et ce mot, elle le prononça avec une telle douceur que Pardaillan s’arrêta. Fausta se rapprocha de lui, jusqu’à le toucher de sa main, qu’elle dégagea des larges manches et posa sur le bras du chevalier.
– Attendez un instant, dit-elle avec la même étrange douceur.
« Que me veut-elle ? grommela Pardaillan en lui-même. Est-ce qu’il y aurait aussi une nasse dans les caveaux de la cathédrale de Chartres ? »
Fausta semblait hésiter. Sa main posée sur le bras du chevalier tremblait légèrement.
– Vous avez parlé, dit-elle enfin d’une voix oppressée, à mon tour, voulez-vous ?…
Fausta s’arrêta soudain, comme si elle eût regretté d’avoir parlé. Et dans cette minute où un double flot de passions contraires venait se heurter en elle, humiliée dans son rêve de pureté extrahumaine et de divine domination, soulevée par l’amour féminin qu’elle portait dans son sein, elle vit qu’elle n’était qu’un pauvre fétu d’humanité pris dans le tourbillon de cette sorte de confluent… Fausta comprit avec terreur qu’elle était double, qu’il y avait deux êtres en elle… Elle était de la lignée des Borgia ; le sang impétueux et sauvage de César et de Lucrèce coulait rudement dans ses veines ; toute la passion des Borgia se déchaînait dans son âme, passion de despotisme, passion de meurtre, passion d’amour… Et elle était aussi ce qu’elle avait voulu être, ce qu’elle était devenue par la puissance de sa volonté… la Vierge immaculée dans son corps, dans son cœur, dans son âme, l’ange, l’Envoyée, la prêtresse des nouvelles destinées de l’Eglise.
Il y avait en elle un orgueil sublime et un amour dévorant. Et par un effort vraiment digne d’admiration, l’orgueil, jusqu’ici, avait vaincu l’amour… Ces deux êtres, donc, ces deux âmes contradictoires qui habitaient le même corps se livraient une effroyable bataille. Il fallait le triomphe de l’un ou de l’autre ; ils ne pouvaient plus coexister.
Ou Fausta demeurait la vierge, la prêtresse, la dominatrice plus que reine – et il fallait la mort de Pardaillan.
Ou Fausta renonçait à son rêve, redevenait une femme – et il fallait l’amour de Pardaillan…
Fausta, donc, ayant posé sa main sur le bras de Pardaillan, ayant annoncé qu’elle voulait parler, Fausta se taisait. Une dernière lutte se livrait en elle. Toute droite dans les plis roides de sa robe monacale, invisible grâce à son capuchon
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