Fausta Vaincue
que la plus effroyable imprécation…
– Il viendra ! disait pendant ce temps le duc d’Angoulême.
– Je le crois ! fit Pardaillan avec un soupir.
Et Charles était si heureux qu’il lui eût été impossible de comprendre tout ce qu’il y avait d’amertume dans le soupir de cet homme qui venait de renoncer à une haine vieille de seize ans pour assurer le bonheur de son jeune ami…
– Mais pourquoi, reprit le duc, avez-vous dit que nous étions installés à la Ville-l’Evêque, et que nous n’entrerions plus dans Paris ?…
– Précaution suprême… Maurevert viendra… je le crois… Maurevert ne trahira pas ceux qui viennent de lui donner vie sauve… je le crois !… Mais enfin, est-ce qu’on sait ?…
Ils demeurèrent quelques minutes pensifs. Charles se demandait si Maurevert viendrait au rendez-vous. Pardaillan n’avait aucun doute à cet égard. La sincérité de Maurevert lui semblait évidente. Il lui paraissait impossible que cet homme, au prix d’un si faible service, ne consentît pas à retrouver la paix de la vie. En tout cas, si Maurevert trahissait encore une fois, lui, Pardaillan, saurait le retrouver…
Mais non… Maurevert ne trahirait pas cette fois !… Il viendrait le lendemain, à dix heures, à la Ville-l’Evêque et apporterait le renseignement demandé… puisque, pour si peu, il avait vie sauve et s’affranchissait du cauchemar de terreur où il se débattait depuis seize ans. Et Pardaillan soupira. C’était bien le moins qu’il donnât un soupir à cet abandon qu’il faisait de sa haine et de sa vengeance.
« Maurevert tiendra parole, songeait-il, ce n’est que trop certain. Et alors, ce sera à moi de tenir la mienne !… J’ai juré de l’oublier !… Et ainsi ferai-je, par la mordieu !… Quoi ! pour racheter la vie de cette petite bohémienne, je renonce donc à tout ce que je portais dans le cœur ?… Pour assurer le bonheur de ces deux enfants, je me condamne donc moi-même à ce supplice : pardonner à Maurevert ? Que maudit soit le jour où la mère de Charles sauva mon père et moi-même ! »
Il frémissait. Et maintenant que Maurevert n’était plus devant lui, il se demandait comment il avait pu l’épargner.
« Allons, allons, reprit-il en secouant la tête, le sacrifice est dur ; je vois que j’aurai quelque mal à oublier… Pourquoi diable faut-il que le fils de Marie Touchet ait justement placé son bonheur dans cet amour ?… Pourquoi a-t-il fallu que sa mère me confie ce jeune homme ? Et pourquoi me suis-je attaché à lui ?… Ah ! mon père, mon digne père, comme vous aviez raison !… »
Il jeta un coup d’œil chagrin vers la tombe.
« Vous que j’ai enseveli de mes mains et couché sous cette terre, que me diriez-vous, si vous étiez là ? Que la vie ou la mort d’un Maurevert importe bien peu sans doute ! Et qu’en tuant ce misérable, je ne vous aurais pas ressuscité… ni vous… ni Loïse !… »
En songeant ainsi, il s’était rapproché de la tombe, et chapeau bas, la tête penchée, se disait à lui-même des choses par quoi il espérait atténuer la douleur de son sacrifice. Et comme il relevait les yeux, il vit la femme aux cheveux d’or qui le regardait fixement.
Alors seulement il la reconnut. C’était Saïzuma la bohémienne… C’était la mère de Violetta…
Charles d’Angoulême, lui aussi, l’avait reconnue et s’était approché. Mais voyant que Pardaillan priait sur la tombe de son père, il avait respecté sa méditation et gardé le silence.
Peut-être le lecteur n’a-t-il pas oublié qu’après sa première visite au couvent des Bénédictines, Pardaillan avait amené la bohémienne à l’auberge de la
Devinière
,
où il l’avait confiée aux soins de dame Huguette. Mais dès le soir même du jour où le chevalier s’était rendu au duc de Guise, Saïzuma avait disparu de l’auberge.
Avait-elle été effrayée par le tumulte ? Avait-elle profité de ce tumulte même pour s’en aller ? Qu’était-elle devenue depuis ce temps ? Comment avait-elle vécu ?… Où avait-elle trouvé un gîte ?… Autant de questions que se posait Pardaillan, mais auxquelles il lui eût été impossible de répondre.
Saïzuma le regardait en souriant. Il était évident qu’elle le reconnaissait et qu’elle se souvenait parfaitement de la scène de l’auberge de l’
Espérance.
–
Prenez garde au traître ! dit-elle d’une voix d’une infinie
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