Fausta Vaincue
dit-elle.
– En effet, madame, je devrais être à cette heure bien loin de Paris.
– Vous deviez attendre mes ordres à Orléans…
– C’est vrai, madame…
– Un cheval et une voiture vous attendaient sur les pentes de Montmartre : la voiture pour elle, le cheval pour vous.
– J’ai vu le cheval et la voiture, madame ; ils étaient bien au rendez-vous que vous m’avez indiqué.
– Je vous avais fait donner une mission par M. de Guise, afin que vous soyez libre de toute entrave, et puissiez gagner huit jours.
– C’est vrai, madame. Et le duc me croit sur la route de Blois où j’ai ordre de noter l’installation du roi et les forces dont il peut disposer à l’occasion.
– Donc, tout était parfaitement combiné pour légitimer votre absence et préparer votre départ. Le duc vous confie une mission qui couvre celle que je vous ai donnée, moi. Je fais disposer pour vous vos relais pour une marche rapide. Tout est prêt. Vous n’avez qu’à partir… Et vous voici ! Monsieur de Maurevert, vous jouez un jeu dangereux…
– C’est vrai, madame. La partie que je joue en ce moment est dangereuse. Ma vie n’a tenu qu’à un fil aujourd’hui, et peut-être demain serai-je mort. Mais ici, à cette heure, je suis en sûreté, madame. Car d’un mot vous allez comprendre pourquoi la petite bohémienne est encore à l’abbaye, pourquoi le cheval et la voiture ont été inutiles, et inutile la mission de Blois, et pourquoi je suis ici au lieu de courir sur la route d’Orléans : madame, sur les pentes de Montmartre au moment où je me dirigeais vers l’abbaye, je me suis heurté à un obstacle.
– Il n’y a pas d’obstacle, dit sourdement Fausta, quand j’ai donné un ordre.
– C’est encore vrai, madame. Mais cette fois, l’obstacle était de ceux qui peuvent arrêter non seulement la marche du pauvre gentilhomme qui vous est dévoué corps et âme, mais de grands desseins d’Etat comme celui qui devait s’accomplir à Chartres… l’obstacle, madame, s’appelle Pardaillan.
Fausta rougit légèrement, ce qui chez elle indiquait une violente émotion. Elle demeura quelques instants silencieuse, sans doute pour que sa voix ne trahit pas son trouble, et son sein se gonfla sous l’effort d’une palpitation qu’elle parvint bientôt à dominer.
– Vous avez rencontré Pardaillan ? demanda-t-elle froidement.
– Oui, madame.
– Il vous a vu ?
– Il m’a parlé ! fit Maurevert avec un frisson. Madame, je vois dans vos yeux l’étonnement de me voir vivant, ici, le soir du jour où j’ai rencontré Pardaillan, où je l’ai vu de près, où il m’a parlé !… Je vais vous étonner davantage : Pardaillan est à nous !
Cette fois, en effet, la stupéfaction fut si réelle et si profonde chez Fausta qu’elle ne songea pas à la déguiser. Joie intense et furieuse de tenir encore l’ennemi… douleur peut-être… mais surtout stupéfaction…
Qu’un homme comme Maurevert eût pu s’emparer d’un homme comme Pardaillan, cela lui semblait contraire au sens naturel des choses. Elle jeta sur Maurevert un sombre regard de doute où, s’il y avait un espoir, il y avait aussi la colère qu’on peut éprouver contre un malfaisant pygmée qui détruirait une œuvre d’art.
Fausta, avec sa passion violente, avec son âme haussée à des conceptions surhumaines, conservait un sens d’artiste raffinée. Pardaillan pris par Maurevert !… C’est une autre fin qu’elle eût souhaitée à une telle carrière ! Il lui semblait hideux que le dernier chant de ce poème vivant qu’était le chevalier fût de si piètre envergure… Et pourtant !… Pardaillan pris… repris plutôt – par Maurevert ou un autre – c’était vraiment l’obstacle enfin écarté de sa route !
– Vous l’avez blessé ? fit-elle sans pouvoir dominer un sentiment que Maurevert prit pour de la joie, et où il y avait en effet de la joie.
Maurevert secoua la tête.
– Vous l’avez pris ?… pris vivant ?… Non ?… Mais vous avez dit : Pardaillan est à nous !…
– Nous le tenons, madame, dit Maurevert chez qui éclata alors la haine enfin assouvie, nous le tenons ! Demain à dix heures, nous n’avons qu’à le prendre ! Il ne s’agit que de combiner une bonne embuscade, et il y viendra tête baissée…
Un rire terrible secoua Maurevert. Fausta le vit livide, une mousse au coin des lèvres, avec des yeux de folie, avec une voix rauque,
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