Fausta Vaincue
contractés, semblait faire un effort de mémoire… Enfin, lentement, il alla à la porte et poussa les verrous.
Farnèse eut un livide sourire et s’apprêta à combattre par le poignard comme il venait de combattre par la parole. Mais au lieu de marcher sur lui, Claude s’adossa à la porte, les bras croisés. Un instant encore, la tête baissée, il sembla chercher dans sa mémoire. Puis relevant tout à coup son vaste front ridé par la douleur, d’une voix changée, très calme, mais rude, où il y avait une menace contenue, il prononça :
– Monseigneur, écoutez. Voici la teneur exacte du papier que je vous ai signé :
« Ce quatorze de mai de l’an 1588, moi, maître Claude, bourgeois de la Cité, ancien bourreau juré de Paris, demeuré bourreau par l’âme, déclare et certifie : « Pour atteindre la femme nommée Fausta, je m’engage Pendant un an à dater de ce jour, à obéir aveuglément à monseigneur et cardinal-évêque Farnèse, ne répugnant à tel ordre qu’il me donnera, et suivant ses instructions sans autre volonté que d’être son parfait esclave. Et que je sois damné dans l’éternité si une seule fois dans le cours de cet an, je lui refuse obéissance. Et je signe… ! »… Et j’ai signé, monseigneur… j’ai signé de mon sang !…
Le cardinal, pendant cette sorte de récitation, était demeuré immobile, fixant sur Claude des yeux exorbités, cherchant surtout à dominer le tremblement convulsif qui l’agitait.
Claude, d’un geste lent, se toucha la poitrine et continua :
– Voici maintenant, monseigneur, le papier que vous m’avez signé, vous !… Celui-là, je n’ai pas besoin de le chercher dans ma mémoire. Celui-là, je le sais bien, allez, car je l’ai relu mille fois… Il est là… Il ne me quitte pas !… Et voici ce qu’il dit : « Ce quatorze de mai de l’an 1588, moi, prince Farnèse, cardinal-évêque de Modène, déclare et certifie : dans un an jour pour jour ou avant ladite époque, si la femme nommée Fausta succombe, m’engage à me présenter devant maître Claude, bourreau, à tel jour ou telle nuit qui lui plaira, à telle heure qui lui conviendra, m’engage à lui obéir quoi qu’il me demande, et lui donne permission de me tuer si bon lui semble. Et que je sois damné dans l’éternité, si je tente de me refuser ou de fuir. Et je signe : Jean, prince Farnèse, évêque et cardinal par la grâce de Dieu. »
Un silence terrible suivit cette deuxième récitation. Puis une sorte de gémissement gonfla la poitrine du cardinal. Et il baissa la tête, comme s’il eût attendu le coup fatal.
– Monseigneur, reprit alors Claude, vous ai-je fidèlement obéi ?… Ai-je été l’esclave que je devais être ?… Me suis-je bien conformé à ce que j’avais signé de mon sang ?…
– Oui ! répondit Farnèse sourdement.
– Puisque notre pacte prend fin aujourd’hui par votre réconciliation avec la femme nommée Fausta, suis-je bien dans mon droit en vous rappelant que vous m’appartenez, quels que soient le jour et l’heure ?…
– Oui ! répondit Farnèse d’une voix d’épouvante.
Claude s’avança de quelques pas, s’arrêta devant Farnèse, sans le toucher, et prononça :
– Monseigneur, ce jour et cette heure sont venus. Vous m’appartenez, et je vais user de mon droit !…
– Soit ! râla le cardinal avec un accent de farouche désespoir… puisque vous avez acquis droit de vie et de mort sur moi… tuez-moi !… Bourreau, exerce une fois encore ton métier !…
Simplement Claude répondit :
– Monseigneur, ce n’est pas vous que je dois tuer. Vous faites erreur…
– Et qui donc ? balbutia le cardinal en tressaillant.
– Fausta ! dit Claude.
– Fausta !… Pourquoi elle, bourreau ? pourquoi elle et non moi ?…
– Parce que je veux que vous viviez, monseigneur ! Tandis qu’en tuant Fausta, je ne fais qu’exécuter le pacte qui nous lie !… Ne suis-je pas… je ne dirai plus dans mon droit, mais dans mon devoir ?… Ensemble nous avons convenu que cette femme doit mourir. Ecoutez, monseigneur, je tuerai Fausta… je la tuerai devant vous… mais vous, je vous laisserai vivre !
– Démon ! gronda le cardinal. Oh ! je te comprends !…
– Le vingt et un d’octobre, on doit vous venir chercher de la part de Fausta, continua Claude, pour vous conduire devant le concile. Ce jour-là, vous devez sortir de l’Eglise et recouvrer votre
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