Fausta Vaincue
Saïzuma n’avait vu Fausta que peu d’instants dans la chambre de l’abbesse Claudine de Beauvilliers ; un laps de temps assez long s’était écoulé : Fausta ne portait pas le même costume ; et pourtant elle la reconnut.
– Ah ! dit-elle avec une sorte de répulsion, c’est vous qui m’avez parlé de l’évêque !…
Fausta fut stupéfaite, mais résolut de profiter de ce qu’elle prenait pour un accès de lucidité.
– Léonore de Montaigues, dit-elle, oui, c’est moi qui vous ai parlé de l’évêque. C’est moi qui vous ai conduite vers lui, dans ce pavillon. Mais je croyais que peut-être vous l’aimiez encore…
– L’évêque est mort, dit Saïzuma d’une voix sourde. Comment pourrais-je l’aimer ?… Et puis c’est un crime, un crime atroce que d’aimer un évêque. Si vous aimez un évêque, madame, prenez garde au gibet…
Fausta baissa la tête, réfléchissant à ce qu’elle pourrait dire pour éveillé une étincelle de raison dans ce cerveau. Elle voulait une Léonore consciente. Saïzuma la folle… la bohémienne lui était inutile. Et elle avait résolu que Léonore servirait au projet qu’elle échafaudait pièce par pièce.
Projet de vengeance. Drame violent et terrible dont elle devait sortir fortifiée à jamais, victorieuse d’elle-même et des autres… de Farnèse et de Pardaillan !
– Ainsi, reprit-elle, vous croyez que l’évêque est mort ?…
– Sans doute ! fit Saïzuma avec une tranquillité farouche. Sans quoi, serais-je vivante, moi ?…
– Eh bien !, vous avez raison plus que vous ne croyez peut-être. Mais écoutez-moi, pauvre femme… Vous avez bien souffert dans votre vie…
– Vous me plaignez donc ? Il y a donc vraiment des créatures humaines qui peuvent me plaindre ?… Dites !… Vous me plaignez ?
– De toute mon âme… mais à quoi bon une importune pitié si on ne cherche à soulager le mal que l’on plaint ?…
– Mon mal n’est pas de ceux qu’on peut soulager, dit Saïzuma avec douceur, et il suffit que vous m’ayez plainte avec votre âme… Comme vous êtes belle ! ajouta la pauvre folle avec une profonde admiration. Oui, étant si belle, vous devez sans doute être pitoyable aux malheureux.
– Léonore, vous avez été plus belle encore, vous ! dit sourdement Fausta. Peut-être même aujourd’hui, êtes-vous plus belle que moi qui suis pourtant bien belle, je le sais. Vous avez souffert dans votre cœur, Léonore ! Et c’est pourquoi vous ne croyez plus au bonheur… Mais si je vous disais que le bonheur est encore possible pour vous !
– Je ne suis pas Léonore ; je suis Saïzuma, bohémienne qui va par le monde lisant dans la main des gens… Et quant au bonheur, ce mot prononcé devant moi me fait maintenant frissonner comme l’aspect d’une bête hideuse…
– Tu es Léonore, affirma Fausta avec force. Et tu seras heureuse… Ecoute, maintenant… Oui, l’évêque est mort ! Oui, celui-là ne te fera plus souffrir… Mais il est quelqu’un qui est vivant encore, qui te cherche, et qui t’adore…
– Quelqu’un qui me cherche ? fit Saïzuma indifférente.
– Celui qui t’a aimée. Celui que tu as aimé… Souviens-toi !… Tu l’as aimé… tu l’aimes encore… et lui te cherche ; et il t’adore…
– Qui est-ce ? fit la bohémienne avec la même indifférence.
– Jean…
Saïzuma tressaillit et prêta l’oreille comme à une voix qui lui eût parlé de très loin.
– Jean ? murmura-t-elle. Oui… peut-être… oui… je crois que j’ai entendu ce nom…
– Jean ! duc de Kervilliers ! répéta Fausta avec plus de force.
Saïzuma pâlit.
Elle se leva toute droite, la tête penchée en avant comme pour mieux écouter cette voix qui lui parvenait de très loin et qui sans doute se rapprochait, retentissait plus distincte à son oreille… Elle interrogea Fausta de son regard plein de trouble et d’angoisse.
– Quel est ce nom ? balbutia-t-elle avec une telle expression de douleur et de crainte, qu’une autre que Fausta eût eu pitié et eût renoncé à cette torture…
– Le nom de celui que tu as aimé ! reprit Fausta avec une douceur et une autorité croissantes. Jean de Kervilliers, c’est celui qui devait être ton époux… regarde en toi-même ! Tu vois bien que tu l’aimes encore, puisque tu frémis et pâlis à ce seul nom… Souviens-toi, Léonore.
Saïzuma, lentement, était descendue jusqu’auprès de Fausta.
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