Fausta Vaincue
Elle l’écoutait comme elle eût écouté une voix venue d’elle-même, tant les paroles de cette femme correspondaient à ses sentiments obscurs et les éclairaient. Fausta lui saisit les deux mains pour lui communiquer sa propre pensée.
– Souviens-toi, continua-t-elle ardemment. Souviens-toi comme tu étais heureuse lorsque tu l’attendais… lorsque du balcon du vieil hôtel de Montaigues, tu guettais son arrivée.
– Oui, oui… murmura la bohémienne dans un souffle.
– Souviens-toi comme il te prenait dans ses bras et comme tu te sentais défaillir sous ses baisers. Il te jurait un éternel amour et tu le croyais, tu fusses morte plutôt que de le soupçonner.
– Oui… morte ! répéta Saïzuma dans un gémissement.
– Et c’était vrai, Léonore ! Léonore de Montaigues, c’était vrai ! Jean de Kervilliers t’adorait… et si une fatalité vous a séparés, il en a souffert autant que toi. Je le sais. Lui-même me l’a dit. Lui-même m’a raconté son amour et son malheur… Il n’a cessé de t’aimer !.. Il te cherche… ne veux-tu pas le voir ?…
Saïzuma arrachant ses deux mains à l’étreinte de Fausta les avait placées devant ses yeux comme si une lumière trop vive les eût éblouis. Elle palpitait. De rapides frissons la secouaient. De confuses images de son passé lui revenaient par lambeaux, et ces lambeaux, peu à peu, se juxtaposaient dans sa mémoire et reconstituaient des scènes.
Un violent travail commencé le jour où elle avait été mise en présence du cardinal, continué par Charles d’Angoulême et Pardaillan, ce travail s’accomplissait en elle avec une rapidité croissante. Ce mot, ce nom : Jean de Kervilliers, était un flambeau qui éclairait bien des recoins ténébreux de son esprit.
Fausta le considérait avec l’attention passionnée qu’elle apportait à tout ce qu’elle entreprenait. Le moment lui parut arrivé de présenter à cet esprit encore vacillant un autre tableau.
– Suis-moi, dit-elle, je te jure qu’un jour, bientôt, tu reverras celui que tu aimes.
Palpitante et docile, Saïzuma suivit cette femme qui exerçait sur elle un prodigieux ascendant. Elle ne savait pas exactement qui était ce Jean de Kervilliers. Mais elle savait que ce nom provoquait en elle une douleur mêlée de joie. Elle ne savait pourquoi elle eût voulu revoir l’homme qui s’appelait ainsi. Mais elle constatait qu’il y avait un vide affreux dans son cœur depuis bien longtemps, et que ce vide serait comblé si elle revoyait cet homme.
Fausta entra dans le pavillon. Saïzuma l’y suivit en tremblant.
– Oh ! dit-elle, c’est ici que j’ai revu l’évêque !…
Et elle regarda avidement autour d’elle, mais le pavillon était vide.
– Oui, dit Fausta, c’est ici que tu as revu l’évêque, et c’est pour cela, pauvre femme, que tu rôdes depuis ce jour autour de ce couvent, et c’est pour cela que tout à l’heure je t’ai trouvée assise sur les pierres de la brèche… regardant ce pavillon… espérant malgré toi…
– Non ! oh non ! gronda la bohémienne. Si vous avez pitié de moi, faites que jamais plus je ne revoie l’évêque…
– Et Jean de Kervilliers ?…
Un sourire illumina le charmant visage de la folle :
– Je voudrais le voir, lui !… Pourtant je ne le connais pas… et je dois l’avoir connu… Je me le représente éclatant de jeunesse et de beauté ; il me semble que je sens sur mes yeux la douceur ineffable de son regard et que j’entends sa voix caressante…
– Tu le reverras, je te le jure !…
– Quand ?… Est-ce bientôt ?…
– Oui, certes… bientôt… dans quelques jours… si tu ne t’éloignes pas…
– Oh ! je ne m’éloignerai pas… non, non… quoi qu’il arrive.
– Bien. Maintenant, écoute-moi, Léonore… Ce n’est pas seulement Jean de Kervilliers que tu reverras, mais ta fille… comprends-tu ?… ta fille…
Saïzuma baissa la tête, pensive.
– Ma fille ! murmura-t-elle. Mais je n’ai pas de fille, moi… Les deux gentilshommes m’ont dit aussi que j’avais une fille… Voilà qui est étrange…
– Les deux gentilshommes ? interrogea Fausta avec une sourde inquiétude.
– Oui. Mais je ne les ai pas crus. Je sais que je n’ai pas de fille…
– Et pourtant, Léonore, tu te souviens de Jean de Kervilliers… son nom et son image sont dans ton cœur !…
– Peut-être ! Oui… je crois en effet que cette image, qui
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