Faux frère
devant le prêtre effrayé.
— Mon nom est Sir Hugh Corbett, déclara-t-il à mi-voix. Je suis garde du Sceau privé, ami et conseiller de notre souverain. Vous vous exécuterez, n’est-ce pas ?
La morgue de son interlocuteur se dégonfla comme une outre crevée. Il opina et ramassa soigneusement les pièces d’argent. Sans attendre, Corbett revint à la porte à claire-voie, où ils avaient attaché leurs chevaux, et respira longuement de grandes goulées d’air.
— Celui qui a commis ces atrocités, dit-il avec un geste vers le dépositaire, est un être malfaisant et démoniaque.
Cade, l’air toujours nauséeux, se contenta de hocher la tête en maugréant tandis que Ranulf semblait avoir vu un fantôme. Ils redescendirent la Poultry, réprimant des haut-le-coeur en passant près des tables et des récipients nauséabonds des peaussiers qui, à l’aide de coutelas, raclaient la graisse des peaux qu’ils jetaient ensuite dans des barriques remplies d’eau.
Ranulf, revigoré à présent, affubla de quolibets les apprentis qui, de l’eau jusqu’à la taille, foulaient les peaux dans de vastes baquets. Ils ripostèrent allègrement tout en réservant le plus gros de leur venin à un malheureux enchaîné, par les dizainiers, au poteau d’un étal. Une pancarte accrochée au cou du vaurien signalait que, la veille, il s’était glissé, en état d’ivresse, entre les maisons des peaussiers en miaulant comme un chat. Grave insulte soulignant que certains de ces négociants essayaient de faire passer des peaux de chat pour de la vraie fourrure !
Corbett et ses compagnons parvinrent enfin à la Mercery dont les marchands, derrière leurs étals, s’égosillaient pour proposer dentelles, noeuds, coiffes, peignes de buis, chapelets, poivriers et fil à coudre. Puis ils passèrent près du marché couvert de West Cheapside, maîtrisant difficilement leurs montures affolées par les vaches que l’on amenait aux abattoirs de Newgate, par les Shambles. Les bêtes semblaient se douter du sort qui leur était promis et tiraient sur les longes enserrant leur cou. Leur panique était perçue par les chevaux qui hennissaient de peur. Plus loin, près de Newgate, les bouchers avaient travaillé d’arrache-pied : les pavés luisaient de sang et d’abattis visqueux. Puis ils traversèrent Newgate, la brise d’été leur apportant les effluves fétides de la prison et la puanteur du fossé qui la longeait.
— Décidément, c’est une matinée placée sous le signe des mauvaises odeurs ! maugréa Cade en désignant le fossé, chaudron frémissant d’eau croupie, de rats morts, de cadavres de chats et de chiens, d’excréments et d’immondices en provenance des marchés.
Il envoya une bourrade malicieuse à Ranulf.
— Restez sur la voie étroite de la vertu ! lui conseilla-t-il. À partir de lundi prochain, les shérifs vont employer tous les détenus à nettoyer le fossé et à aller, à force de rames, balancer les ordures en mer !
Corbett, pensant encore au corps de la malheureuse prostituée, s’arrêta à Fleet Bridge pour acheter un peu d’eau fraîche à un porteur qui la vendait dans des pichets et des tonnelets. Les autres l’imitèrent et ils se rincèrent la bouche avant de redescendre Holborn en direction du Strand. Ils dépassèrent St Dunstan-in-the-West et les archives de la Chancellerie, contournèrent Temple Bar et se retrouvèrent sur le large Strand conduisant à Westminster. Cette belle artère était bordée d’imposantes auberges, à la peinture et au plâtre récemment refaits, dont les propriétaires étaient membres de la noblesse. Une foule de juges, d’avocats et de clercs en habits rayés et calottes blanches entraient et sortaient des cours de justice.
Corbett fit halte devant l’hôpital de Notre-Dame-de-Roncevaux, près du village de Charing, pour admirer la croix délicatement sculptée que son souverain venait d’ériger à la mémoire d’Aliénor, son épouse bien-aimée. Les trois compagnons poursuivirent leur chemin et, au sortir d’un tournant, aperçurent la dentelle de pierre, les pignons et les tours de l’abbaye et du palais de Westminster. Ils pénétrèrent dans le domaine royal par une petite poterne dans le mur nord et virent, sur leur droite, la masse imposante de l’abbaye et, plus près d’eux, joliment blottie entre l’abbaye et les jardins du palais, la belle église de St Margaret. Pourtant, la splendeur de l’abbaye et de
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