Favorites et dames de coeur
femmes des rois meurt avec elles, celui de la femme de Scarron vivra éternellement » : la singulière prophétie se réalisa, à ceci près que Françoise épousa aussi un roi ! Faute du grand amour ou de l’extase sexuelle, ces deux êtres conclurent un pacte tacite d’échange de bons procédés : Françoise fut une garde-malade dévouée, une parfaite maîtresse de maison, une collaboratrice avisée ; animant un salon littéraire où l’on croisait libertins 170 et grands seigneurs, le burlesque Scarron légua à sa jeune femme le moyen de son ascension future : un carnet d’adresses.
Des relations puissantes
Scarron mourut le 6 octobre 1660, laissant des dettes et ce conseil à sa veuve : « Soyez toujours vertueuse. » Sur le mode gaillard, il lui suggéra de se remarier à cause des « privations » qu’il lui avait imposées :
Car il est vrai, malgré moi-même,
Que notre hymen fut un carême
Qui doit mettre en appétit.
Qu’elle en use donc à petit !
Et que sa sage politique
N’use plus d’un paralytique,
Mais qu’elle jouisse du bien
Que permet un sacré lien.
La succession réglée, Françoise prit pension chez les ursulines et mena parallèlement une vie mondaine grâce aux relations de feu Scarron, dont elle avait su se faire apprécier. « Elle est fort belle […], douce, reconnaissante, secrète, fidèle, modeste, intelligente et, pour comble d’agrément, elle n’use de son esprit que pour divertir ou pour se faire aimer », reconnut l’un de ses soupirants, le chevalier de Méré. Sa bonne éducation lui ouvrit maints salons littéraires et aristocratiques, où elle se rendait volontiers utile : « Elle savait le monde et mille choses dont elle ne se souciait pas de faire vanité », selon Mlle de Scudéry. Mme de Sévigné loua « sa conversation délicieuse, [son] esprit merveilleusement droit […]. Elle est aimable, belle et bonne ». Mme Scarron supportait dignement sa pauvreté : ses amis le maréchal d’Albret et le marquis de Montchevreuil intercédèrent alors auprès d’Anne d’Autriche, qui accorda une pension de 2 000 livres à la jeune veuve. Sage et pieuse, celle-ci entretint néanmoins quelques liaisons discrètes, dont l’une avec le marquis de Villarceaux 171 . Elle les camoufla par le choix d’un confesseur austère, l’abbé Gobelin, ce qui lui permit d’arborer le masque de la respectabilité. Ambitieuse sous des dehors serviables, elle entendait bien se revancher d’une existence qui ne l’avait pas épargnée jusqu’ici. Un dernier coup du sort la frappa en 1666 : la mort de la reine mère supprima sa pension.
L ’ intervention du destin
Vers 1665, Mme Scarron avait consulté le grand devin Barbé, au milieu d’une assistance aristocratique. Ignorant à qui il avait affaire, Barbé affirma qu’elle avait été « la femme d’un estropié », ajoutant : « Elle est née pour être reine. » Sa prédiction fut étonnante : « Après bien des chagrins et des peines, enfin vous monterez où vous ne croyez pas monter. Un roi vous aimera et vous régnerez. Et vous n’aurez jamais de grands biens. » Les témoins s’esclaffèrent : distinguée par un roi, cette bourgeoise fauchée, veuve d’un poète licencieux et réputé libertin ? Ils n’auraient pas misé un liard sur ses chances ; c’était trop énorme ! Vexé, Barbé aurait rétorqué qu’ils feraient mieux de baiser sa robe que de se moquer d’elle.
Or, Françoise rencontra chez le maréchal d’Estrées une jeune femme de la haute noblesse, vive et spirituelle, intéressée par sa conversation (1667). Elle ignorait qu’elle devrait sa prodigieuse ascension à cette Mme de Montespan. Familière de la cour, nouvelle favorite royale, celle-ci intervint efficacement auprès de Louis XIV pour qu’il rétablît la pension de la jeune femme. Mme Scarron, reconnaissante, s’attacha à sa bienfaitrice. Invitée à la fête grandiose que donna le roi à Versailles, le 18 juillet 1668, elle soupa à la table de Mme de Montausier, gouvernante des enfants de France, dame d’honneur de la reine, et grande amie de Mme de Montespan… Françoise songea-t-elle que la prédiction de Barbé s’accomplissait ?
Enceinte de son premier bâtard, Mme de Montespan n’eut pas à chercher bien loin la future gouvernante. Mme Scarron lui sembla toute désignée : d’une discrétion et d’une moralité sans faille, elle s’occupait déjà fort bien des
Weitere Kostenlose Bücher