Favorites et dames de coeur
pessimiste, mais l’éloignait de tout amusement. Par contagion, elle détacha le roi de ses distractions d’antan, le ballet, la comédie, l’opéra. Avec une certaine inconséquence, elle se plaignit ensuite qu’il n’avait point de conversation – accusation erronée – et qu’il était blasé : « Quel malheur d’avoir à amuser un homme qui n ’ est plus amusable ! » La vie à Versailles devint ennuyeuse ; les jeunes courtisans allaient se divertir à Paris. Mme de Montespan réagit malgré sa demi-disgrâce, organisant des bals et des fêtes pour ses enfants ; elle brocarda leur ancienne gouvernante avec son esprit habituel, la comparant à un éteignoir. Celle-ci intervint toutefois en sa faveur pour marier ses bâtards à des princes du sang, et assurer une place de gentilhomme du dauphin à son fils légitime, le marquis d’Antin.
Hors de l’intimité conjugale, Mme de Maintenon n’était qu’une simple particulière aux yeux de la cour et selon l’étiquette. Mais son antichambre ne désemplissait pas de solliciteurs. Elle recevait une incessante théorie de ministres, de prélats ou de courtisans, qui lui prêtaient à tort une influence sur le roi, oubliant qu’il ne partagea jamais son autorité. Il aimait travailler chez elle avec ses ministres, gênés de sa présence insolite, et s’amusait à la consulter pour la forme : son jugement, droit et de bon sens, lui valut le surnom de « Votre Solidité ». Elle ne se trompa que dans son imprudent soutien à Fénelon, le précepteur du duc de Bourgogne, adepte du quiétisme, doctrine condamnée par Rome en 1687.
Démasqué par Bossuet, Fénelon dut quitter la cour. Louis XIV lui offrit l’évêché de Cambrai à titre de compensation (1695), mais Fénelon en appela au pape Innocent XII, ravi d’intervenir contre la politique gallicane du roi. Initiatrice involontaire du scandale, Mme de Maintenon vit son crédit diminuer (1697). Elle se crut proche de la disgrâce et ne tenta plus de se mêler des affaires de l’État, préférant se consacrer à son œuvre éducatrice.
Saint-Cyr
Françoise fonda d’abord à Rueil une école catholique pour filles protestantes pauvres, destinées à la domesticité (1682). Puis elle créa une école au château de Noisy-le-Roi, offert par le roi, pour cent filles de noblesse pauvre. Elles y recevaient une instruction gratuite jusqu’à vingt ans, âge où elles se mariaient ou optaient pour la vie consacrée. L’entretien et les frais de scolarité étaient à la charge du roi (1683). L’école eut un grand succès. Noisy devenant trop exigu, on transféra l’établissement à Saint-Cyr, dans des locaux neufs permettant d’accueillir deux cent cinquante pensionnaires (1686). Conformément à l’esprit du siècle, Mme de Maintenon fut une directrice sévère. Elle voulait que ses élèves, considérées comme étant au service du pays, cultivassent « l’envie de plaire et de se rendre utile ». La nourriture frugale, la toilette simple, le confort Spartiate, la discipline rigoureuse, devaient leur inculquer le sens de l’humilité. Les tâches manuelles supplantèrent les jeux de l’esprit. Mme de Maintenon avait commandé deux pièces à Racine, Esther (1689) et Athalie (1690), et les avait fait jouer par ses élèves : mais les caprices des « actrices », les billets doux que leur expédiaient les jeunes courtisans, l’incitèrent à bannir le théâtre. Détail piquant, cette femme instruite, veuve d’un écrivain, amie de Racine et de Mme de Sévigné, qui avait hanté les salons littéraires de son siècle, finit par déconseiller la lecture !
D’austère, l’institution devint sinistre : les hommes n’eurent plus le droit d’entrer, y compris les prêtres. Elle conserva cependant une réputation assez flatteuse pour que le pape envoyât un bref de félicitations à Mme de Maintenon.
La fin
La guerre de Succession d’Espagne et les difficultés de la fin du règne minèrent Françoise. Pacifiste, elle souhaita la paix à n’importe quel prix ; très affligée par le terrible hiver 1709, elle secourut généreusement les plus pauvres. La mort fauchant les héritiers de la Couronne, elle soutint l’édit de juillet 1714, où le roi incluait ses bâtards dans l’ordre successoral. Évoquant sa jeunesse, ses plaisirs et sa faveur, elle conclut que « tous les états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de
Weitere Kostenlose Bücher