Favorites et dames de coeur
désapprouva sa rapide ascension : on avait affaire à une ambitieuse, âpre au gain.
Marie-Anne se débarrassa de M. d’Agenois et, grâce à l’entremise du duc de Richelieu, le plus fameux libertin de son temps, devint la maîtresse de Louis XV. Elle posa toutefois une condition sine qua non : le renvoi de sa sœur Louise-Julie, qui pouvait lui faire de l’ombre. « Le roi a congédié Mme de Mailly pour prendre sa sœur, Mme de La Tournelle […]. C’est la sœur qui chasse la sœur. Elle exige son exil 191 » Marie-Anne réclama aussi du roi qu’il n’écrivît plus à Louise-Julie, ni qu’il cherchât à la revoir (4 novembre 1742). Ayant ainsi fait place nette, elle voulut parachever sa victoire et revendiqua pêle-mêle d’exorbitants privilèges : être favorite déclarée, échanger son appartement de dame du palais contre un autre plus spacieux, être admise au tabouret 192 , bénéficier d’une « maison » digne de ce rang, recevoir une rente de 50 000 livres et un carrosse à six chevaux. Louis XV accepta les conditions, sauf pour le titre ducal : on verrait plus tard.
Néanmoins satisfaite de ces concessions, Mme de La Tournelle lui céda enfin le 9 décembre 1742. Cela se sut ; Marie Leczinska se montra désormais glaciale à l’égard de sa dame du palais, et affecta de l’ignorer chaque fois qu’elle prenait son service de semaine.
Un « amour » intéressé
Les cadeaux de prix ne tardèrent pas à tomber dans l’escarcelle de la nouvelle favorite : pour les étrennes de 1743, Louis XV lui offrit une montre en or, primitivement destinée à Louise-Julie, et un luxueux logis remis à neuf; Marie-Anne lui donna en contrepartie un almanach serti de diamants. Elle ne l’aimait pas, mais sut le distraire, un peu à la façon de Louise-Julie quelques années plus tôt. Elle n’eut cependant pas la simplicité, ni la douceur de celle-ci ; son air dominateur lui valut même un surnom : « la princesse ». Marie-Anne ne se mêla pas de politique, du moins pas encore : elle se servit surtout de sa position idéale pour établir à la cour ses deux autres sœurs, Diane-Adélaïde et Hortense. Et bien qu’elle se montrât avide et intéressée, Marie-Anne resta toutefois honnête : elle ne se livra pas au trafic d’influences.
Au printemps 1743, elle aurait déclaré, selon certains témoins : « À présent, j’aime le roi. » L’aveu n’était pas si franc qu’elle le prétendit, et Louis XV ne fut pas dupe de ses sentiments, trop haut proclamés pour être sincères. Mais il lui accorda au compte-gouttes ce qu’il lui avait promis. Quand la favorite séjourna à Fontainebleau avec la cour, à la fin de l’été 1743, elle venait d’obtenir le carrosse gris et une domesticité spécialisée : un cuisinier, un écuyer, etc. Elle s’inquiétait alors de la possible « concurrence » d’une certaine Mme d’Étiolles 193 , qu’on disait fort belle, et dont le nom revenait souvent dans la conversation des amis intimes du roi. Marie-Anne fut bientôt rassurée : le 21 octobre 1743, Louis XV signa un brevet, la créant duchesse de Châteauroux, et qui la nantissait d’une terre de 85 000 livres de revenus ; le roi l’avait rachetée au comte de Clermont, un descendant du Grand Condé. Prudent, il assortit son cadeau d’une clause restrictive : Marie-Anne n’en jouirait qu’à titre d’usufruit, et ne pourrait pas le transmettre à d’éventuels héritiers. Elle put toutefois soulager sa trésorerie mise à mal par le train qu’elle menait à la cour. La reine félicita brièvement la favorite le lendemain, par quelques mots d’une aimable sécheresse : « Madame, je vous fais compliment de la grâce que le roi vous a accordée. »
L’évolution politique
Lorsque le vieux cardinal Fleury mourut, Louis XV annonça qu’il se passerait désormais de premier ministre (29 janvier 1743). Dirigeant lui-même le gouvernement, il conserva la même équipe. Mme de Châteauroux, qui avait espéré un temps que le roi choisît son ami Richelieu pour remplacer Fleury, prit alors goût à la politique et soutint à l’occasion tel ou tel ministre. La guerre de Succession d’Autriche 194 occupait alors tous les esprits.
Les combats s’étaient d’abord limités à la Bohême, où opérait un contingent français, et à la Silésie, envahie par l’armée prussienne (1741-1742). Charles-Albert de Bavière avait été élu au trône
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