Favorites et dames de coeur
impérial grâce à l’influence et aux subsides de Belle-Isle, ambassadeur de France, contre François de Habsbourg-Lorraine, époux de Marie-Thérèse d’Autriche ; il avait pris le nom de « Charles VII », probablement pour conforter sa légitimité incertaine 195 (4 janvier 1742). Mais le roi de Prusse compromit ce succès politique français : homme sans honneur, Frédéric II avait fait main basse sur la Silésie ; il abandonna alors son allié français et signa une paix séparée avec Marie-Thérèse. Le conflit fut relancé en 1743 : la Grande-Bretagne intervint en faveur de l’Autriche et l’Espagne s’engagea aux côtés de la France. Louis XV concentra l’effort vers les Pays-Bas autrichiens 196 , afin de protéger le nord du royaume.
Mme de Châteauroux, dont l’influence sur le roi croissait, émit quelques idées judicieuses, comme la nomination du maréchal de Noailles à l’armée de Flandres (mars 1744) ou le départ du roi aux armées (4 mai) : il y renforça sa popularité. La favorite joua aussi la carte de l’alliance prussienne, malgré les déboires occasionnés à la France deux ans plus tôt. Réaliste, mais totalement dénué d’amour-propre, Frédéric II sollicita Marie-Anne, dont il connaissait l’importance, pour que Louis XV renouvelât le traité contre l’Autriche. La démarche réussit : l’indigne conduite du Hohenzollern 197 avait certes édifié le Bourbon, mais en 1744, il avait besoin d’alliés, si douteux qu’ils fussent. Forte de ce succès insolite, Marie-Anne n’eut garde d’oublier ses intérêts au passage ; le mariage du dauphin étant prévu pour 1745, elle obtint qu’on recréât la charge de surintendante de la maison de la dauphine à son profit. Mme de Châteauroux prévoyait d’y placer ses amies et sa parentèle à tous les échelons.
La favorite chassée
Louis XV partit aux armées sans Marie-Anne. Celle-ci l’aurait bien accompagné, mais le maréchal de Noailles l’en dissuada fermement. Aussi s’installa-t-elle à Plaisance chez ses amis, les financiers Pâris-Duverney (mai 1744). Cette femme de tête se lassa bientôt de son inaction et voulut coûte que coûte rejoindre le souverain. Elle écrivit d’abord au maréchal de Noailles et au duc de Richelieu pour les préparer à sa venue ; puis la favorite profita de ce que la duchesse de Modène 198 , de passage à Versailles, désirait se rendre à Lille, pour saluer le roi : elle demanda à Marie Leczinska l’autorisation de l’y guider. La reine ne pouvait pas souffrir Mme de Châteauroux et fut ravie de s’en débarrasser.
Marie-Anne partit avec sa sœur Diane-Adélaïde et Mme de Modène dans la nuit du 6 au 7 juin. Elles entrèrent à Lille le 8 à 2 heures du matin, après avoir roulé un train d’enfer. Le monarque se dérida devant Marie-Anne, ravi de rompre avec un état de continence qui lui pesait. Mais l’irruption de Mme de Châteauroux ne fut pas goûtée de tout le monde : de jeunes Lillois, probablement éméchés, vinrent brailler quelques refrains obscènes sous les fenêtres de l’hôtel du gouvernement, où elle logeait :
Belle Châteauroux
Je deviens fou
Si je ne vous baise
Belle Châteauroux.
Marie-Anne resta aux armées, malgré l’avis contraire de Richelieu, qui lui conseillait de rentrer à Paris : sans le vouloir, elle nuisait à la popularité du roi. Seul, le Bien-Aimé avait été follement acclamé par le peuple et par les soldats. Sa présence auréolait les victoires de ses troupes. Dès que sa favorite le suivit, les ovations se raréfièrent, ou se muèrent en railleries. De Lille, il partit pour Metz, car une invasion autrichienne menaçait l’Alsace. À Metz, la favorite s’installa chez le président du parlement, près du palais du gouverneur où résidait le roi ; aménagées tout exprès, des galeries de bois reliaient les deux bâtiments, et on interdit les rues adjacentes au public ; cela fit la plus fâcheuse impression (août 1744).
Subitement malade le 9 août après une inspection 199 , Louis XV fut veillé par les princes du sang et par Mme de Châteauroux. Mais son état empira tant que ses médecins le crurent perdu. Hanté par la perspective de mourir en état de péché mortel, le roi décida de se confesser à M gr de Fitz-James, évêque de Soissons et premier aumônier. Celui-ci exigea une conversion humiliante, qui passait par le renvoi immédiat de Marie-Anne ; le roi s’y plia
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