Favorites et dames de coeur
et elle se vit intimer l’ordre formel de quitter le palais (12 août). Louis XV reçut les derniers sacrements le lendemain, après que l’évêque eut obtenu une seconde victoire : le départ définitif de la favorite. Mme de Châteauroux et sa sœur quittèrent Metz dans une voiture prêtée par le maréchal de Belle-Isle, la leur étant trop reconnaissable. La foule les poursuivit de ses quolibets orduriers :
La paille au cul
Vous partez donc, grande duchesse,
La paille au cul !
Qui de nous l ’ aurait jamais cru
Que Louis rempli de tendresse
Renverrait un jour sa maîtresse,
La paille au cul !
Le retour et la mort
Tandis qu’on ordonnait des prières publiques pour la guérison du roi et que sa famille gagnait Metz, Marie-Anne se remit de ses émotions à Bar-le-Duc. Elle écrivit au duc de Richelieu, espérant son retour en grâce ; mais sa lettre envisageait aussi la mort de Louis XV avec une froideur qui démentait son apparente affection (17 août). Elle quitta la ville le même jour : reconnue, elle fut huée ; on jeta de la boue sur son carrosse. Ces pénibles scènes se reproduisirent à chaque relais, gâchant son retour, tandis que le pays saluait avec ferveur la guérison de Louis XV (19 août). À Paris, les dames de la Halle vinrent l’insulter devant l’hôtel de Nesle, où elle s’était réfugiée. Ces anicroches lui inspirèrent des idées de revanche : être « l’amie » du roi, devenir « inattaquable » , puis brimer ses ennemis; ainsi, concluait-elle dans une autre lettre à son ami Richelieu, « nous mènerons une vie délicieuse » (13 septembre). Mi-octobre, elle intrigua, en vain, pour que Richelieu dirigeât l’ambassade chargée d’aller quérir la future dauphine à Madrid.
Remis sur pied, le roi se souvint de l’humiliation que le clergé lui avait infligé. Regrettant l’absence de Marie-Anne, il acheva triomphalement la campagne d’Alsace par la prise de Fribourg (8 novembre). Cette victoire le ragaillardit et il exila les responsables de la confession de Metz. Rentré à Versailles, il négocia le retour de Marie-Anne à la cour, mais elle exigea le renvoi du ministre de la Guerre, Maurepas, qui la détestait : Louis XV refusa. Il chargea son nouveau ministre des Affaires étrangères, le marquis d’Argenson, de remettre à Mme de Châteauroux un billet écrit de sa main ; la missive invitait Marie-Anne et sa sœur Diane à reprendre leurs places à la cour (25 novembre). De nombreux courtisans, dont Richelieu et Belle-Isle, l’escomptaient. Argenson devait aussi délivrer une consigne verbale du roi : celui-ci affirmait ignorer les circonstances du départ précipité des deux sœurs, en août, de Metz. Protestant alors de son « respect » et de son « attachement » pour Sa Majesté, Marie-Anne répondit qu’elle l’irait remercier le samedi suivant, 28 novembre, car, ajouta-t-elle, « [elle serait] guérie » ; Mme de Châteauroux venait en effet de contracter un fort rhume et devait garder la chambre jusque-là. Mais son état dégénéra en congestion pulmonaire le lendemain.
Lucide, Marie-Anne rédigea son testament, instituant Diane sa légataire universelle, et se réconcilia avec Dieu. Informé de son état déclinant, Louis XV fit réciter des prières pour sa guérison à la chapelle royale et à Notre-Dame de Versailles. Secouée par des convulsions, en proie à des hallucinations, elle fut assistée par ses amies et par sa sœur Louise-Julie, qu’elle avait naguère évincée. Le 7 décembre, on la déclara perdue ; l’apprenant, le roi s’isola à La Muette, écrasé par le chagrin.
La duchesse de Châteauroux décéda le 8 décembre 1744, jour de la Nativité de la Vierge. Elle fut inhumée le 10, après des obsèques matinales, dans l’église Saint-Sulpice, chapelle Saint-Vincent, où elle repose toujours.
Dernière des sœurs Mailly-Nesle à régner sur le cœur de Louis XV, Marie-Anne de La Tournelle, duchesse de Châteauroux, fut aussi sa dernière favorite d’origine aristocratique.
ANNEXE
Diane et Hortense de Mailly
Née en 1714, Diane-Adélaïde épousa le duc de Lauraguais en janvier 1743, date où elle fut présentée au roi. Celui-ci l’apprécia mais n’en fit pas sa maîtresse. Elle eut deux surnoms : « la rue des Mauvaises-Paroles », d’une voie éponyme existant alors à Versailles 200 , à cause de son franc-parler dénué de méchanceté, et « la grosse réjouie », pour
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