FBI

que le ou les agents auteurs des fuites se dénoncent. Je veux qu’ils déposent leur carte du FBI sur la table, je veux qu’ils se dénoncent ou je les vire. »
    Silence de mort dans la salle. Personne ne bouge.
    Alors Patrick Gray dit d’un ton solennel : « Je ne suis peut-être pas un agent du FBI comme vous. Je n’ai sans doute pas votre expérience. Mais je suis un soldat. J’étais capitaine de sous-marin, j’ai présidé de nombreuses cours martiales et donc je sais ce qu’enquêter signifie. Vous n’êtes que des dégonflés et des lâches. »
    Puis le Directeur se met à traiter ses agents de tous les noms d’oiseaux qui lui viennent à l’esprit. « Je n’en croyais pas mes oreilles, se souvient Paul Magallanes. Après, il y a eu un silence de mort. Personne n’a rien dit. »
    Le Directeur tourne les talons et s’enferme dans son bureau. Son engueulade a duré à peine cinq minutes, mais a paru une éternité à Magallanes et à ses collègues. « Quand il est parti, rapporte Magallanes, on était littéralement sonnés. Je n’ai jamais été aussi humilié ni insulté de ma vie. Aujourd’hui encore, je sens le poids de ces mots. Je sens sa colère, son animosité envers nous. On n’était rien pour lui. »
    Les agents explosent : de quel droit le Directeur remet-il en question leur intégrité ? En quittant la pièce, ils ont du mal à se calmer.
     
    Gorge Profonde se méfie de tout et de tous. Il sait de quoi ses collègues sont capables. Il ne communique pas avec les journalistes par téléphone, il ne les rencontre pas dans des lieux clos, surtout pas de chambres d’hôtel trop facilement sonorisables, et il ne leur donne jamais aucun dossier. Il redoute aussi les hommes du Président et leurs méthodes expéditives. Trop d’anciens tueurs de la CIA tournent autour de la Maison-Blanche pour courir le moindre risque. Il avertit Woodward et Bernstein que « la vie de tout le monde » est en danger.
    Grâce aux révélations de Gorge Profonde, l’affaire ne quitte pas la une des journaux. En 1973, une commission du Sénat se saisit du dossier, et certains des hommes du Président passent aux aveux en échange de l’impunité. La Chambre des représentants parle de destitution. Le 8 août 1974, le président des États-Unis, Richard Nixon, annonce sa démission. La boîte de Pandore est ouverte : les médias multiplient les révélations sur les coups tordus orchestrés par la CIA depuis sa naissance en 1947. Les commissions d’enquête du Sénat et de la Chambre des représentants entrent dans la danse. Bientôt, de toute cette affaire il ne subsistera qu’un seul secret, l’identité de Gorge Profonde. Elle ne sera rendue publique qu’en 2005. L’informateur des deux journalistes du Washington Post n’est autre que le responsable de l’enquête, le numéro deux du FBI, Mark Felt.
    En apprenant, trente ans plus tard, la trahison de son chef, Paul Magallanes ne cache pas sa colère. « À l’époque, on avait conscience de travailler pour l’histoire. Chacun d’entre nous savait que nous enquêtions sur un événement qui allait figurer dans les livres d’histoire de nos enfants et de nos petits-enfants. La destitution d’un Président est un événement majeur. Woodward, Bernstein et Gorge Profonde nous ont dépouillés d’un événement historique. Ils ont pris tout le crédit. Ils nous ont ridiculisés. Mais ils n’ont pas fait tomber le Président. C’est le FBI qui est responsable de la chute du Président. » Pour les agents, trente ans plus tard, Mark Felt est un traître et mérite d’être traité comme tel. Il ne se trouve qu’une personne pour défendre l’ex-numéro deux du Bureau. C’est son ancien bras droit Ed Miller : « Je pense que Felt organisait les fuites d’information de manière très sélective. Il se servait des médias contre eux-mêmes en essayant de préserver le Bureau… Il voulait empêcher le gouvernement de tuer le Bureau. Je le connaissais bien, je savais qu’il était capable de tout pour défendre le Bureau. Quand on demandait à Mark Felt : “Êtes-vous Gorge Profonde ?”, il répondait : “Non, mais j’aurais bien aimé l’être.” Une réponse désarmante qui étouffait dans l’œuf toute enquête sur lui. » Pour Ed Miller, le mystère de l’identité de Gorge Profonde est loin d’être résolu. Il est certain qu’il y avait plusieurs Gorges Profondes. « Je dirais que Mark Felt