FBI
d’aller se reposer à Moscou, elle redoute que ce ne soit pour l’éternité. En septembre, Moscou lui dépêche un nouvel agent traitant, Anatoly Gorsky. Sous l’empire de l’alcool, elle le traite de gangster et menace de le dénoncer au FBI. Que n’a-t-elle pas dit ! Gorsky informe Moscou et suggère de se débarrasser d’elle… Voilà pourquoi, paniquée, elle se jette dans les bras du FBI, le 6 novembre 1945.
Elizabeth Bentley n’est pas un témoin facile. Elle est « bizarre », caractérielle et alcoolique, mais douée d’une mémoire fantastique. C’est un véritable dictionnaire ambulant du plus gros réseau d’espionnage soviétique jamais mis au jour aux États-Unis. Au début, les interrogatoires ont lieu pratiquement tous les jours ; la routine s’installe. Chaque matin, Elizabeth est soumise à deux heures d’interrogatoire, puis, après une sieste, elle déjeune avec ses anges gardiens du FBI. L’après-midi, tandis que les agents retranscrivent les interrogatoires et en font des synthèses, elle a quartier libre.
Au bout de quelques jours, elle a déjà livré au FBI les noms de 150 agents soviétiques opérant aux États-Unis. Parmi eux, 37 hauts fonctionnaires, dont certains déjà signalés par deux autres transfuges, un Soviétique, Igor Gouzenko, et un Américain, Whittaker Chambers.
Désormais, 250 agents du FBI surveillent les moindres mouvements des 150 espions du réseau, ouvrent leur courrier, écoutent leurs conversations les plus intimes. « C’était très difficile, explique Jack Danahy. Il y en avait des dizaines, à Washington. La guerre était finie, le gouvernement payait mal, et les fonctionnaires cherchaient à rejoindre le secteur privé. Presque tous étaient originaires de New York et n’arrêtaient pas de faire des allers et retours avec Washington, que ce soit pour se reposer, le week-end, ou en semaine pour trouver du travail. Bref, on en avait par-dessus la tête, des surveillances ! »
À Washington, ce n’est guère mieux. Le chef du réseau reçoit beaucoup et organise chez lui des dîners. La prudence ne semble pas être son fort et il invite régulièrement ses collègues espions avec leurs épouses. Sa maison, située au fond d’un cul-de-sac, est pratiquement impossible à surveiller : « Il y avait autour de l’impasse des dizaines de voitures : celles des espions et celles du Bureau, se souvient Jack Danahy. C’était ridicule ! »
Sans nouvelles d’Elizabeth Bentley, les espions présumés se méfient. En outre, Moscou a été informé de la défection de la jeune femme par la plus efficace de ses taupes, le chef de la section IX du contre-espionnage du MI-6, Kim Philby. Au bout d’un an d’une surveillance aussi vaine qu’éprouvante, les agents du FBI interpellent plus d’une centaine de hauts fonctionnaires. Soixante-quatre d’entre eux sont présentés à la justice. Parmi eux, Nathan Gregory Silvermaster, le chef du réseau, dirigeant de l’administration de la Sécurité des fermes, un assistant du secrétaire au Trésor, un conseiller à la Maison-Blanche, un des plus proches collaborateurs du chef des services secrets (OSS), et des membres du Bureau des productions de guerre. Le dossier du FBI se fonde uniquement sur les déclarations d’Elizabeth Bentley : aucun autre document ne corrobore ses affirmations… Le grand jury refuse en conséquence les inculpations demandées par le FBI.
Depuis les années 1940, les services secrets américains interceptent tous les câbles top secret émanant de l’ambassade soviétique à Washington. Ces câbles sont chiffrés, mais, à l’époque, dans le cadre de l’opération « Venona », les Américains sont parvenus à « casser » ces codes. Tous les secrets de l’espionnage soviétique aux États-Unis ont été brusquement révélés. Et pas seulement aux États-Unis : en se fondant sur les transcriptions de « Venona », la CIA accusera par la suite d’éminentes personnalités internationales d’être des agents soviétiques – parmi elles, Pierre Cot, un des ministres du général de Gaulle à la Libération. Or, en 1945, « Venona » est encore un des secrets les mieux gardés du monde du renseignement américain. Pas question de révéler l’existence de ces télex, même s’il en est des centaines pour confirmer les accusations d’Elizabeth Bentley.
Jack Danahy assiste à la plupart des auditions du grand jury. Un jour, dans le couloir,
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