FBI
n’y aurait pas eu de limite de temps pour poursuivre. »
Très vite, Elizabeth Bentley porte sur les nerfs de Jack Danahy. Quarante-huit ans après les faits, l’ancien agent du FBI n’est pas tendre pour son ancienne transfuge. L’ancien gamin du Bronx n’a pas grande considération pour cette jeune bourgeoise issue d’un collège de Vassar, établissement haut de gamme, très sélectif, spécialisé dans les beaux-arts, niché au cœur de la vallée de l’Hudson, dans l’État de New York. Ici, on est plutôt libéral (lisez : de gauche), c’est-à-dire, en cette veille de Seconde Guerre mondiale, antifasciste. Pour ses études universitaires, la jeune femme choisit Columbia. Cruel, l’ancien agent explique qu’elle compensait son absence de beauté physique par une facilité d’approche purement sexuelle. Ses amants sont fascistes en Italie, communistes aux États-Unis. Sa vie sentimentale est à l’image de sa carrière : « tachetée », pour reprendre l’épithète employée par Danahy.
Elizabeth Bentley adhère au Parti communiste en 1935, alors qu’elle étudie encore à Columbia sous le nom d’Elizabeth Sherman. Elle appartient à la section de Harlem. Sur le campus, elle a été recrutée par une camarade, Juliette Glazer. Les deux jeunes femmes parlent d’infiltrer les organisations fascistes italiennes à New York. Elizabeth Bentley constate que Juliette Glazer est accompagnée en permanence par un homme qui la suit comme son ombre : c’est un agent de la police secrète de Staline, le redoutable NKVD. En 1937, Juliette disparaît. Nul ne la reverra jamais plus vivante. Elizabeth Bentley apprendra par la suite que sa camarade a été exécutée au prétexte qu’elle était un agent allemand.
En 1938, Elizabeth Bentley infiltre l’organisation chargée de la propagande du régime de Mussolini à New York. L’affaire est trop importante pour être gérée par le Parti communiste américain, lequel la remet entre les mains d’un agent secret soviétique, Jacob Golos, de son vrai nom Jacob Rasin, or Jacob Raisen. C’est un bolchevik ukrainien, membre de longue date du NKVD. Dans leurs messages codés, décryptés par les Américains dans le cadre de l’opération « Venona », les services soviétiques parlent de lui comme d’un agent « illégal » – par opposition aux « résidents », c’est-à-dire aux agents protégés par l’immunité diplomatique. Golos travaille pour différentes firmes américaines, « paravents » des services soviétiques. L’une d’entre elles est l’agence de voyages World Tourists, spécialisée dans les déplacements des agents soviétiques.
En 1941, la Commission parlementaire des activités anti-américaines (HUAC) s’intéresse d’un peu trop près à World Tourists et à Jacob Golos. Elizabeth Bentley prend le relais et lui sert de courrier. Elle est chargée de recueillir les informations collectées par les agents de l’organisation à New York et à Washington. Peu après, Golos crée sa société, US Shipping and Service Corporation, avec pour responsable la même Elizabeth Bentley. Fin novembre 1943, après une série d’accidents cardiaques, Jacob Golos décède ; Elizabeth Bentley hérite de ses réseaux. Vaste et lourd héritage : il comporte près de 64 agents, la plupart très haut placés à Washington.
Elizabeth Bentley travaille désormais directement sous les ordres d’Iskhak Akhmerov, un « illégal » du NKVD qui lui enjoint de lui communiquer ses contacts. Avec l’appui du secrétaire général du Parti communiste américain, Earl Browder, Elizabeth Bentley tient bon : pas question de livrer ses agents américains au NKVD, il en va de leur sécurité.
Son organisation s’agrandit ; elle prend sous sa houlette le groupe Perlo, composé de hauts fonctionnaires du Département de la Guerre, du Département du Trésor, d’un analyste des services secrets (OSS) et d’un fonctionnaire du Sénat.
Le secrétaire général du Parti communiste américain, Earl Browder, finit par céder aux Soviétiques et donne l’ordre à Elizabeth Bentley de remettre ses réseaux aux mains du NKVD. Elle s’exécute de mauvaise grâce, avant de sombrer dans la dépression. Elle boit beaucoup. Trop. Ne se présente plus à son travail. Voit des tueurs partout. S’imagine que la dernière en date de ses conquêtes masculines est soit un tueur du NKVD, soit un agent du FBI. Quand les Soviétiques lui suggèrent
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