Fidel Castro une vie
vrai, s’habituera très bien à ce genre de bienveillance.
C’est, comme il en est coutumier, du fond de l’abîme que Castro rebondit. Le 10 août 1963, il prononce un grand discours : le pays doit « renoncer aux rêves d’industrialisation poussée » – voulu par Guevara, qui n’est évidemment pas nommé. L’agriculture, déclare le
Lider
, « devra assurer les besoins de Cuba pendant l’actuelle décennie et peut-être la prochaine ». Grâce, en particulier à l’irrigation et à la replantation de deux cent cinquante mille hectares (le dixième de la superficie historique), la
zafra
devra atteindre de « huit à neuf millions de tonnes en 1970 ». Fidel reconnaît courageusement que la Révolution a fait fausse route dans le domaine économique.
Malgré la situation très difficile de l’économie, Castro ne consent à aucune pause, aucune « NEP » libéralisante, à l’instar de Lénine en 1921. Loin de là : il annonce une « deuxième réforme agraire », qui ramène de quatre cents à soixante-sept hectares le maximum que peut détenir chaque paysan. Le surplus faisant retour à l’État, celui-ci possédera désormais 70 % des terres. Dès 1962, les six cent vingt-deux coopératives sucrières avaient été transformées en « fermes du peuple » (sovkhozes).À la différence de celle de 1959, cette réforme ne donne lieu à aucune tension visible. Mais la grève de la productivité, avec la chute consécutive des approvisionnements urbains, sera la sournoise réponse des paysans.
La nature, il convient de le dire, n’aide pas toujours Cuba. Le 3 octobre, un énorme ouragan, « Flora », s’abat sur l’Oriente. Castro compense par un activisme forcené la pagaille qui préside à l’organisation des secours. Il faudra des semaines pour avoir une idée approximative du nombre des victimes. Fidel établit son poste de commandement dans Las Villas. Il manque de périr en traversant le rio Rioja à bord d’un camion amphibie que commencent à emporter les flots furieux. Des paysans lancent des cordes de la rive et sauvent le commandant en chef. L’épisode reclamera la popularité de Fidel. Par avance, ce dernier annonce des chiffres terrifiants concernant les dégâts (« 11 103 maisons détruites, 21 248 endommagées ») : le
Lider
saura toujours utiliser à la décharge de son régime les vicissitudes qui, comme partout sur Terre, contrecarrent le cours harmonieux des choses.
Mais voici que l’homme qui a le plus durement tenté de déboulonner Castro, John Kennedy, est assassiné le 21 novembre 1963 à Dallas. Le journaliste Jean Daniel, qui interviewait Fidel au moment précis où il apprend la tragédie, rapportera sa stupéfaction : « C’est une grave et mauvaise nouvelle. » Le Cubain a aussitôt compris que l’attentat pourrait lui être porté à charge, comme il adviendra d’ailleurs. Il se défend par anticipation, mettant en relief, dans un discours radio télévisé, le caractère « étrange » de l’assassinat, dissertant sur le type d’arme utilisé.
Avec Lyndon B. Johnson, Castro commence l’apprentissage de « son » troisième président américain. Le timide rapprochement imaginé dans les derniers mois de Kennedy va tourner court. Rien n’évoluera positivement entre les deux pays pour la décennie à venir. La tension autour de Guantanamo, quoique contenue dans de précises limites par La Havane, sera un thème d’aigreurs récurrentes. En durcissant, le 13 mai 1964, leur embargo par une interdiction des ventes de vivres et de médicaments, les États-Unis de Johnson confirmeront la politique américaine visant à étouffer l’île. Des voix commencentpourtant à s’élever, à Washington, affirmant que cette conduite renforce plutôt le castrisme puisqu’elle lui permet de rejeter la responsabilité de ses échecs sur « l’impérialisme yankee ». Le sénateur Fulbright est l’un des premiers partisans de la théorie selon laquelle Cuba est une « gêne », non une « menace ».
Lorsque Castro décide que 1964 sera « l’année de l’économie », c’est un objectif qu’il fixe. Le résultat, c’est autre chose ! La situation est à ce point difficile que le
Lider
, de façon tout à fait inattendue, débarque à Moscou le 13 janvier pour… renégocier avec les Soviétiques l’accord annuel que vient de conclure Carlos Rafael Rodríguez. Officiellement, Fidel vient pour « échanger des vues, se reposer, se familiariser avec l’hiver
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