Fidel Castro une vie
solution de la crise a suscité des querelles dans les rangs des ennemis de Cuba. Il a été possible d’éviter une guerre. » Fidel arbore sur son uniforme kaki la médaille rouge de l’ordre des Héros de l’Union soviétique, que Brejnev lui a épinglée, ainsi que l’ordre de Lénine. Et le Cubain de conclure : « Grand merci, frères soviétiques ! » Il s’est rangé du côté de la « coexistence pacifique » défendue par Moscou contre l’activisme de Pékin. « K. », ravi, donne l’accolade à Fidel sous les applaudissements scandés de l’assistance.
Puis Khrouchtchev emmène Castro pour une semaine de vacances à Sotchi, sur les bords de la mer Noire. Il lui fera aussi visiter une base de fusées stratégiques. Le 2 juin, les deux hommes sont à Tiflis, en Géorgie. Et le 3 juin en soirée, l’agence Tass annonce, en même temps, la nouvelle du départ de Fidelet celle de son arrivée à Cuba. Faisant un bilan radiodiffusé de ce voyage, le
Lider
redit son ancrage dans le « camp socialiste ». Il assure qu’à ses yeux les forces armées soviétiques sont « sans rivales » au monde, grâce à leurs « armes invulnérables et [leurs] projectiles de précision ». Mais il se dit prêt à normaliser les relations avec Washington.
Castro est aux anges. Sauf sur un point :
Revolución
, le quotidien fidéliste, n’a pas su trouver le bon ton pour rendre compte de l’événement. Ses journalistes se sont tantôt débondés dans l’adulation, comparant Fidel à Lénine, et tantôt dévergondés dans la légèreté, rapportant des détails oiseux. Carlos Franquí, le directeur, paiera de sa place cette colère du commandant. Il n’entrera pas aussitôt en disgrâce. Il entreprendra une histoire officieuse de la Révolution, qu’aurait dû publier l’éditeur italien Feltrinelli. Mais le projet n’ira pas à bon port et Franquí, finalement, rompra avec la Révolution et se réfugiera en Europe. Dans son livre d’entretiens avec Gianni Mina, Castro présentera son collaborateur de dix années, ami de vingt, comme un ambitieux frustré, devenu anticommuniste forcené en raison de sa rupture avec le PSP dans les années 1940, un orgueilleux sans talent devenu traître à la Révolution par ressentiment, non sans laisser derrière lui sa vieille mère, dont la Révolution a dû s’occuper jusqu’à sa mort. Ici se révèle un des traits affreux du
Lider
: il ne pardonne rien.
Castro n’entend pas limiter à l’Union soviétique ses relations internationales : 1963 sera aussi l’année d’une ouverture vers l’Europe de l’Ouest. Dans la phase brûlante de la Révolution, tous les Occidentaux avaient été traités avec rudesse. Certes, ils étaient, dans l’ensemble, moins attaqués que les États-Unis, mais avaient également subi (hormis le Canada) des nationalisations sans compensation. Désormais, Fidel va complexifier son jeu. En deux années, il aura reporté à un niveau de quasi-excellence les relations de Cuba avec la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne. Seule la RFA (cette Allemagne de l’Ouest que sa situation stratégique – Berlin-Est à tout le moins – contraint à s’aligner sur Washington) restera hors de cette idylle.
Fidel commence ses apparitions spectaculaires dans les ambassades européennes : le 14 juillet 1963, dans celle deFrance. Cet effort portera vite ses fruits. En peu d’années, Paris deviendra le premier partenaire occidental de Cuba, lui vendant notamment des camions et du matériel ferroviaire. Il y a, dans l’Hexagone, une convergence entre le désir du général de Gaulle de manifester par tous les moyens l’indépendance du pays envers les États-Unis, et la pression du Parti communiste français et d’une bonne partie de l’intelligentsia en faveur de la Révolution caraïbe.
Si le front international redevient, ainsi, plus riant, la situation économique, en revanche, est catastrophique. Avec une
zafra
de trois millions huit cent mille tonnes en 1963, Cuba enregistre son record négatif du XX e siècle. C’est là la conséquence de l’abandon, en 1960, de la « tyrannie du sucre » par la Révolution triomphante. Alors que les prix de cette denrée font un bond sur le marché mondial, l’île n’a même pas de quoi assurer ses livraisons à l’Union soviétique ! Elle profitera néanmoins du fait que le grand « pays-frère » – conséquence de la visite triomphale de Fidel – n’exigera pas son dû. Le
Lider
, à dire
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