Fidel Castro une vie
solution ; mais les engins sont encore à mettre au point et, surtout, ils ne peuvent travailler qu’en plaine, alors que les cannaies cubaines ont toujours été « à la diable ». Une idée prend donc corps dans le groupe dirigeant : imposer une discipline de travail. Et qui mieux que le commandant en chef peut y pourvoir ?
À partir de 1965, la société va donc être militarisée. La Révolution, en 1959, avait aboli des casernes pour en faire des écoles, et cela l’avait rendue populaire. Désormais, pour un lustre, l’île entière va devenir une caserne. « À la caraïbe », certes : les violences ne sont que pour les récalcitrants. Mais il ne faut tout de même pas plaisanter ! Cuba va ressembler à une sorte d’empire précolombien dont Castro serait l’Inca. On met l’accent sur le « volontariat ». Et comme le volontariat, dans une société quadrillée par des CDR, s’apparente à une obligation, le cours des choses sera, pour cinq ans, le travail forcé : pas très forcé, mais pas libre non plus. C’est vers cette époque qu’est lancé le fameux «
cordón
» de La Havane, une ceinture verte dont on attend qu’elle approvisionne la capitale en légumes et occupe utilement les dimanches citadins. Des millions de plants de café y seront repiqués avec une hâte qui suscitera l’émerveillement des thuriféraires. René Dumont verra pourtant, dès 1969, qu’ils sont étouffés, car trop serrés.
Le ton a été donné dès le traditionnel discours du 2 janvier (1965) : « Nous mobiliserons tout le peuple », s’est écrié Fidel. Le service militaire, entré en vigueur début 1964, pourvoira à une partie des besoins. Les recrues prêteront souvent deux ans de leur temps à l’agriculture. Dans le cadre de la « campagne antibureaucratique permanente », on licencie cinquante mille fonctionnaires que l’on envoie s’initier aux joies rudes de la vie agreste. On crée aussi « l’école aux champs » : les élèves du secondaire – dont le nombre, à l’honneur de la Révolution, a beaucoup crû – sont installés à la campagne ; ils y prêtent leurs bras, pour un bon mi-temps, à l’agriculture.
On voit aussi apparaître, en 1965, une nouveauté moins reluisante : les Unités militaires d’aide à la production. Des décennies plus tard, les voix baissent dans l’île quand on évoqueles Umap. On a pu parler de « camps de concentration ». Travail forcé serait plus juste. « Ils peuvent d’ailleurs rentrer dans leur famille à Noël », a tempéré un « ami de Cuba ». La campagne dont sont nées les Umap a été lancée dans divers secteurs, dont l’université, contre les homosexuels. Ces unités ont d’abord accueilli, avec la virilité convenable, des invertis confessés ou dénoncés : pour leur faire passer le goût du « vice », dit-on dans l’entourage du ministre de l’Intérieur Ramiro Valdés, chargé du programme. Puis de petits opposants y seront dirigés, ceux qu’on classe sous les rubriques vagues de « parasites sociaux » ou « conflictifs ». On y envoie également des témoins de Jéhovah, dont l’antimilitarisme est un scandale dans une société martiale. Les Umap accueilleront aussi des baptistes, contre lesquels le régime se déchaîne à partir de 1965, comme il s’était dressé en 1962 contre les francs-maçons et comme il voudra briser, en 1972, le
nañiguismo
, le vaudou cubain. Des catholiques seront aussi envoyés aux Umap, tel le futur cardinal Jaime Ortega. Au total, trente mille personnes y passeront en un peu moins de cinq ans, encadrées par la lie de l’île. On a dit que Fidel avait été scandalisé de ce qu’il avait tard appris du régime de ces unités…
Le transport spectaculaire de Fidel et de son gouvernement pour une quinzaine de jours par an à la
zafra
, pour la première fois le 12 avril 1965, voici l’exemple haut donné du volontariat. Quand des visiteurs débarquent dans l’île à la bonne saison, il est bien vu de s’y joindre, une journée ou deux. Le maréchal Gretchko, ministre de la Défense soviétique, s’exécutera ponctuellement. « Un travail de chien », rapporte un de ces étudiants français qui, à partir de 1965, vont passer des « vacances politiques » dans l’île.
C’est, chaque année, entre novembre et mai, en décembre et janvier surtout, que l’on note le déplacement de la ville au champ de dizaines de milliers de personnes. La rentabilité en est très faible : un amateur
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