Fidel Castro une vie
«
lobby
anti-Che » : il hausse le tir à l’international. Pour lui, l’Union soviétique, lancée en ces années 1960 dans une révision de ses méthodes sous l’influence des économistes Trapeznikov et Liberman, s’est remise sur des rails « capitalistes ». Cela la conduit, et les autres pays socialistes avec elle, « en un sens à être complices de l’exploitation impérialiste ». C’est là un extrait du dernier grand discours public de Guevara, prononcé le 24 février 1965 à Alger. Il témoigne de l’évolution vertigineuse du Che depuis l’époque de la Sierra où sa référence affirmée était « derrière le rideau de fer ». Et où il était, avec Raúl, tenu pour le plus dangereux moscoutaire autour de Fidel.
À partir de la mi-1963, Che est ainsi en délicatesse avec Fidel sur un secteur capital, le sien après tout : l’économie. Le retour au primat du sucre, choix du
Lider
, lui déplaît. Fidel n’a pas publiquement tranché entre le « moralisme révolutionnaire » du ministre de l’Industrie et les modérés réalistes ; mais, début 1965, Dorticós stigmatise « les petites guerres théoriques » qui n’ont jamais été « le propre de la Révolution cubaine » : une pierre dans le jardin de l’Argentin ! Ceux qu’il faut récompenser, conclut le président de Cuba, sont « ceux qui coupent le plus de canne ». Le 19 avril 1965, quelques semaines après la disparition du Che, le
Lider
lui-même attaquera pour la première fois « l’esprit abstrait et velléitaire » de ceux qui considèrent le marxisme-léninisme comme « une catégorie philosophique, sans rapport avec le travail quotidien concret ». Le 26 juillet 1965, Fidel va dénoncer les « idéalistes pour qui les hommes seraient guidés par le seul sens du devoir ». Tous reconnaissent Guevara dans ces descriptions faites à une époque où Castro était, d’évidence, très irrité contre son ami de dix ans.
Mis hors-jeu sur le plan économique, le Che cherche une autre voie. Il multiplie les voyages : Alger en juillet 1963, Genève en mars 1964, Paris, dans la foulée, où il signe un accord commercial, Moscou, en novembre, aux fêtes du quarante-septième anniversaire de la révolution de 1917, les Nations unies, le 9 décembre, et enfin – sans repasser par La Havane, via le Canada – Alger à nouveau, première étape d’un voyage de trois mois, son dernier déplacement officiel. Il visite cinq pays africains avec lesquels Cuba a entrepris une coopération plus ou moins ample (Mali, Congo-Brazza, Guinée-Conakry, Dahomey et Tanzanie), la Chine et, enfin, deux capitales arabes : Alger encore, chez le « frère Ben Bella », et Le Caire.
Guevara cherche-t-il à devenir ministre des Affaires étrangères ? De tout autre que lui, on le penserait. Mais son propos est autre. Jette-t-il les premiers jalons de la future conférence « tricontinentale », qui aura lieu début 1966 ? Jean-Jacques Nattiez, un de ses premiers biographes, le pense. Ou bien a-t-il déjà repris le sentier de la guérilla ? À l’ONU, en décembre 1964, alors chef de la délégation cubaine, il a lancé de la tribune un « appel à deux cents millions de Latino-Américains », annonçant qu’il était prêt à donner sa vie pour la « libération » d’un despays du sous-continent : évidente préfiguration de son propre et ultime combat en Bolivie.
Lors de son fameux discours d’Alger du 22 février 1965, le Che va franchir une étape intolérable pour le
Lider
: d’une tribune internationale, il a pris position contre l’Union soviétique, « complice » avec des « exploiteurs de l’Ouest ». Peut-être Castro n’en pense-t-il pas moins ; mais il n’est pas possible que la maîtrise du rapport avec Moscou lui échappe. Question : Guevara, alors, a-t-il commis cette « erreur » volontairement, pour créer un fait accompli lui permettant de se libérer de son devoir d’État ?
Le Che, au retour de son voyage en Afrique-Asie, le 14 mars 1965, est attendu à l’aéroport par Castro et Dorticós, et nul – hormis à l’occasion d’un compte rendu de son voyage, le 22 mars – ne le reverra plus publiquement vivant. Fidel a raconté à Gianni Mina sa part de vérité sur les activités de Guevara entre ce jour-là et celui de sa mort, en octobre 1967. Dès leur rencontre au Mexique, en 1955, qui allait décider du reste de la vie du Che, celui-ci aurait fait promettre à son chef que, la victoire acquise, il aurait le
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