Fidel Castro une vie
vaut le quart d’un professionnel et il mange autant. Et la production de l’usine où a été prélevée cette main-d’œuvre chute. On passe ainsi subrepticement, pour cinq années, à partir de 1965, après la disparition du Che et jusqu’à l’échec de la « grande
zafra
» de 1970, à un système où règne, à l’inverse des choix initiaux de Fidel, le « stimulantmoral ». Pour le dire d’un bon mot, c’est la fin de la carotte… mais le régime va devoir donner du bâton.
Avoir à s’occuper de l’économie du pays, outre les charges politiques et militaires suprêmes, ne comble pas Castro. Depuis « les crises planétaires », il donne l’impression d’être en quête d’une nouvelle querelle. L’aide aux guérillas latino-américaines l’occupe, bien sûr. Mais elle est clandestine, niée dès que découverte. À l’occasion de ce « jour des Étudiants » qui sert souvent de tremplin à ses idées hardies, le
Lider
lance, le 13 mars 1965 : « Tous les pays socialistes doivent aider le Viêtnam. » L’annonce n’est pas convenue ! Car ni l’Union soviétique ni la Chine ne répondent militairement au pilonnage de l’ex-Tonkin par l’aviation américaine. Le nouveau maître du Kremlin, Brejnev, est en train de révéler sa faiblesse, juge Fidel. Cuba, pour sa part, enverra des combattants, si on le lui demande. Les Viêtnamiens lui garderont toujours de la reconnaissance de cette offre.
Le mois suivant, les
marines
américains envahissent la République dominicaine pour éviter que les troubles qui accompagnent le difficile réajustement consécutif à l’assassinat, en 1961, du dictateur Trujillo n’aboutissent à une autre révolution « castriste ». Que peut faire le
Lider
, sachant que la direction soviétique qui a renversé Khrouchtchev pour ses élans aventuristes ne bougera pas ? Eh bien ! rien. Rien ? Le 1 er mai, il en appelle aux « nations non alignées d’Asie et d’Afrique », et non au bloc socialiste.
L’été 1966 éclatera la « révolution culturelle » chinoise. L’anarchie qu’elle engendre va paralyser l’autre géant du communisme. Le massacre, à partir de septembre, de cinq cent mille « prochinois » (et Chinois expatriés) en Indonésie a lieu sans qu’on bouge à Pékin. Mais l’apathie générale peut aussi aller avec un activisme brouillon : à l’automne 1965, des officiels chinois se sont mis à glisser de la « littérature Mao » dans les boîtes aux lettres d’officiers cubains à La Havane. Ce n’est pas dangereux, mais c’est intolérable. C’est donc dénoncé.
C’est donc le constat d’une double impuissance à la tête du mouvement communiste mondial, sur les décombres du « grand schisme » de 1960-1962, qui pousse Fidel à cet activisme frénétique qui sera sa marque en 1966 et 1967. Atypiquedans l’évolution du régime, ce moment sera pourtant pris pour sa norme, avant 1968, par maint intellectuel de gauche de la vieille Europe.
Deux années durant, Cuba va en effet s’ériger en troisième Mecque – et même plutôt la seule – de la vraie Révolution : celle que l’on fait, non celle dont on cause ; celle des mouvements de libération nationale des pays du tiers-monde, non celle des PC des puissances « nanties » que sont l’Union soviétique et la Chine ; et en tout cas pas celle de la « coexistence pacifique » capitularde ou de la « révolution culturelle » inefficace. C’est sur ces prémices que La Havane lance, pour 1966, la préparation d’un congrès de tous les pays du tiers-monde. Les Latino-Américains y rejoindront enfin les Afro-Asiatiques qui ont déjà – suite de Bandung – leur organisation basée au Caire. Il était temps ! Car, si l’on excepte la fin du maquis contre-révolutionnaire de l’Escambray, 1965 aura été assez terrible pour Fidel : en mars, la rupture avec Che ; le 20 juin, le renversement du cher ami Algérien Ben Bella ; à l’automne, l’annihilation d’un
foco
guérillero castriste au Pérou.
Et comment oublier la persistance des difficultés économiques ? Alors, le 28 septembre, le
Lider
crée la sensation : un premier congrès du PC cubain, annonce-t-il, sera réuni. En fait, ledit congrès ne sera convoqué que… dix ans plus tard. Ce qui a lieu, le 1 er octobre, c’est la désignation, par Fidel, du Comité central (CC), du bureau politique et du secrétariat du nouveau PC cubain, qui succède au Pursc. Mais ce tour de passe-passe est plein
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