Fidel Castro une vie
Guevara, il sera utile à la Révolution. » Les milieux officiels américains, eux, disaient : «
Guevara is underground, yes, six feet underground
» (G. est entré dans l’action souterraine… oui, il est six pieds sous terre). La lettre du Che deviendra l’un des documents capitaux de la Révolution castriste, au même titre que
L’Histoire m’absoudra
. Elle sera lue et relue dans les écoles, surtout le passage : « D’autres
sierras
du monde réclament la contribution de mes modestes efforts. » Parallèlement, un article du Che publié début 1965 par le journal uruguayen
Marcha
, sous le titre « Le socialisme et l’homme à Cuba », deviendra, avec son « Discours d’Alger » et son futur « Message à la Tricontinentale », la bible des gauchistes « antistaliniens » de 1968.
Le discours prononcé le 28 septembre 1965 par Fidel devant les CDR contient une autre annonce sensationnelle : la réouverture des portes de l’exil, closes depuis la crise des fusées. Faire baisser la pression politique, économique et sociale due au rationnement, telle est l’explication plausible de la mesure. Dès le 7 octobre, les premiers contingents arrivent à Miami. Ils y sont amenés par de petits bateaux souvent affrétés par des anciensexilés autorisés à aborder l’île, par Camarioca, à l’est de Matanzas. Afin de contrôler cette immigration sauvage, Washington conclut un accord avec La Havane via l’ambassade de Suisse, qui représente ses intérêts à Cuba. Aux termes du
Cuban Adjustment Act
(1966), les insulaires fuyant « le castrisme » seront longtemps accueillis sans retenue par l’Amérique.
Deux fois par semaine, désormais, un avion affrété par les États-Unis prendra les candidats autorisés à l’exil à l’aéroport de la station balnéaire de Varadero. Priorité est donnée aux Cubains ayant des parents déjà hors de leur patrie. Les jeunes hommes en âge, ou presque, de faire le service militaire (de quatorze à vingt-sept ans) et les techniciens utiles à l’économie du pays ne sont pas autorisés à partir. L’attente est de deux à trois ans. Les émigrants ne peuvent emporter que les vêtements qu’ils ont sur eux. Et leurs biens sont confisqués. Ce pont aérien fonctionnera jusqu’en 1971, où il sera interrompu par La Havane. Trois cent mille Cubains sont partis ainsi.
L’année 1966 est évidemment baptisée « de la solidarité », du fait de la conférence « des trois continents », ou « Tricontinentale », que Dorticós ouvre solennellement le 3 janvier. La veille, dans son discours pour l’anniversaire de la Révolution, Fidel a critiqué Pékin pour n’avoir pas reconduit un accord prévoyant l’envoi de quatre cent mille tonnes de riz. Or, cette céréale – nourriture de base des Cubains, avec les haricots – est indispensable à la population, et la Révolution a quasiment cessé d’en produire. Pour parer au plus pressé, Vilma, épouse de Raúl et ménagère avisée, lance un concours de « menus sans un grain de riz ». Cuba s’est trop fiée aux camarades chinois durant la brève période des bonnes relations. La déconvenue est d’autant plus vive que, une énième fois, la
zafra
1965-1966 est modeste : quatre millions huit cent cinquante mille tonnes.
Lors de la « Conférence de solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine », qui se prolongera toute la première quinzaine de janvier, l’affrontement avec les envoyés de Pékin est net. Ceux-ci veulent que soit reconnue l’existence de « deux impérialismes », le soviétique s’additionnant à l’américain. Or, même si les Cubains entendent desserrer le cordon avec Moscou, c’est trop ! Osmany Cienfuegos, qui a travailléà la préparation de la conférence (accompagnant notamment Guevara en Chine un an plus tôt), réplique : « Nous, nous savons ce qu’est l’impérialisme. » Dans le grand salon de l’hôtel Habana Libre qui héberge la Tricontinentale, la représentation de Moscou se réjouit. Mais un peu vite. Car, échaudé par 1962, Castro, veut, cette fois, tirer son épingle du jeu.
Cette conférence, à laquelle il a songé dès 1960, est en effet l’affirmation mondiale de la Révolution cubaine. Improbablement, le
Lider
obtiendra ainsi de l’Union soviétique sa signature sous des textes « gauchistes », « aventuristes » presque, s’agissant des révolutions du tiers-monde ; Moscou admettra aussi, avec réticence, que La
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