Fidel Castro une vie
champ libre pour aller « lutter en Argentine » sans que des « raisons d’État » puissent l’en empêcher. Guevara ne s’est évidemment pas dérobé aux tâches que la Révolution cubaine lui a confiées, mais il était aussi « très intéressé aux problèmes internationaux, aux problèmes de l’Afrique ». Or, à cette époque, révèle Castro, le mouvement de lutte armée qui avait suivi, au Congo-Zaïre, la mort de Lumumba, « nous a demandé d’envoyer des instructeurs et des unités combattantes ». Le Che s’est donc rendu en Tanzanie et, « avec une centaine de Cubains, est entré au Congo. Il y a passé sept mois avec les rebelles de Gaston Soumaliot, enseignant à combattre au peuple du Zaïre », luttant « contre les mercenaires blancs et les forces gouvernementales ». Et puis « les rebelles décidèrent de déposer les armes » – décision à laquelle les Cubains se plièrent. Il est clair, à lire Taibo II (
L’année où nous n’étions nulle part
) et d’autres, que le fossé culturel a été énorme entre l’Argentin, idéaliste, exigeant, discipliné, et les Africains, plutôt rigolards et peu idéologiques.
Le retrait, en tout cas, a été aussi soudain que l’entrée en guérilla avait été improvisée. Guevara est resté alors « plusieursmois » en Tanzanie à « tenter une analyse de l’expérience », et « cherchant à gagner du temps », selon l’étrange formule de Castro à Gianni Mina. Puis il est « passé dans un pays socialiste d’Europe de l’Est » (à Prague ?). En toute hypothèse, il ne voulait plus rentrer à Cuba, car « on » y avait publié sa lettre, datée du 1 er avril 1965, par laquelle il renonçait à sa nationalité, démissionnait de ses fonctions et prenait congé de Fidel. Le
Lider,
pourtant, a, dit-il, « réussi à le convaincre de rentrer… clandestinement. » Che a alors passé un peu de temps sur l’île à se refaire une santé puis quelques mois dans la province de Pinar del Río, « s’entraînant avec les compagnons qui allaient partir avec lui », sans vouloir attendre que le mouvement révolutionnaire en Bolivie ait pris son élan. « Nous lui avons donné, poursuit Fidel, l’appui nécessaire pour mettre en acte l’idée… Le transfert de Che et de tous ses compagnons [en Bolivie] a été effectué jusqu’à un campement. Il a fallu traverser des lieux inabordables, surmonter des obstacles compliqués… Ainsi a-t-il réussi à s’unir aux autres dans la région de Nancahuazu choisie par ses soins. »
Il est permis de penser que les choses se sont passées de façon moins idyllique. Le Che a terminé sa causerie du 22 mars 1965 par ces mots : « À bientôt, sur les champs, pour couper la canne. » Dans une lettre écrite à sa mère le 16 (Ricardo Rojo :
Che Guevara, vie et mort d’un ami
), « Che » avait annoncé, là aussi, qu’il travaillerait un mois aux champs dans l’est, puis « cinq ans dans une usine pour en étudier le fonctionnement » – lui, ancien ministre de l’Industrie ! Des témoignages recueillis par Nattiez suggèrent qu’il y a eu, à la mi-mars, entre les deux hommes, « un entretien orageux d’une quarantaine d’heures ». Le plus probable est qu’ils soient tombés d’accord que l’Argentin ne pouvait plus continuer sa « mission » à Cuba. Ils auraient alors mis au point le programme de lutte armée du Che.
S’agissant de l’épisode zaïrois, observons que Fidel devait tenir beaucoup à l’Afrique pour consentir à laisser partir Guevara dans une aventure aussi hasardeuse. (« Les chefs étaient corrompus. En un mot, il n’y avait rien à faire », dira le Che à l’Argentin Roberto Bustos.) Le long passage en Europe de l’Est est peu crédible, vu l’état d’esprit quasi antisoviétique dont témoigne le discours d’Alger. Le récit de Castro (le séjourde « plusieurs mois » en Tanzanie…) donne à penser que Guevara était « paumé » – incertain de l’aide qu’il pouvait obtenir de Cuba. Pour l’expédition en Bolivie, en revanche, il a obtenu les moyens dits par Castro.
Le départ du Che prive Fidel du dernier homme (si l’on met à part Raúl, mais qui ne s’exprime jamais en public) qui avait la stature pour lui dire les choses – rarement dans le sens de la modération, il est vrai : il a toujours préféré les chemins âpres, comme celui de la réforme agraire radicale et de la confrontation extrême avec les États-Unis. Comment interpréter,
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