Fidel Castro une vie
disperser leurs efforts, tout en poussant l’Union soviétique amie à augmenter ses aides. En 1967, au contraire, Fidel s’adonne tellement au soutien aux guérillas du sous-continentqu’il prend le risque d’indisposer Moscou, mettant ainsi en balance l’essentiel. Les héros de 1967 sont le Vénézuélien Douglas Bravo, le Colombien Fabio Vásquez, le Guatémaltèque César Montes, tous engagés dans des actions de guérilla dans leur pays respectif. Les martyrs se nomment Camilo Torres, prêtre colombien tombé en 1966 dans un maquis, Luis de la Puente, un Péruvien mort dans un combat très inégal en 1965, Turcios Lima, guatémaltèque, et Fabricio Ojeda, vénézuélien. Les « traîtres » sont des trotskistes, tel Yon Sosa, chef du MR-13 guatémaltèque dénoncé par Fidel lors de la Tricontinentale. Et surtout les partis communistes « renégats », ceux qui, après s’être engagés, vers 1961-1963, sur la « voie armée », ont décidé, quelques années plus tard, de reprendre la lutte légale, d’accepter la « paix démocratique ». Les plus visés sont les communistes colombiens, guatémaltèques et vénézuéliens.
C’est à propos du Venezuela, précisément, qu’éclate la grande querelle de 1967. Le 1 er mars, le cadavre torturé du frère du ministre des Affaires étrangères, Iribarren Borges, est retrouvé à Caracas. Le gouvernement met en cause les Cubains. La Havane fustige en réponse le « gouvernement criminel » du président Leoni, coupable de mener une lutte « sanglante » contre les rebelles. Une personnalité prestigieuse du PCV, Héctor Mújica, exprime, lui, sa « stupeur » d’une telle « action criminelle ». Et il traite le porte-parole des guérilleros à La Havane, Manuel Camero, « d’aventurier sans morale révolutionnaire » pour avoir encensé les assassins.
Le 13 mars, dans son traditionnel discours aux étudiants, Fidel porte la querelle sur la place publique. Il attaque « la direction de droite du Parti communiste vénézuélien », qu’il accuse d’avoir « voulu diriger la guérilla depuis la capitale » au lieu d’être allée « dans les montagnes avec les guérilleros ». Contre ces « défaitistes » toujours prêts « à réclamer une trêve » (alors qu’« une guérilla qui accepte la trêve est condamnée à la déroute »), Castro proclame « le droit d’exprimer notre solidarité avec les combattants ». Il ajoute : « Les PC devront se définir face aux guérillas. »
À propos de l’assassinat d’Iribarren Borges, Castro, selon une méthode qu’il affectionne, nie avoir d’autres informations que celles fournies par les agences de presse. La déclarationde Manuel Camero ? Elle montre que lui non plus « n’a pas d’informations ». Le
Lider
exprime son « désaccord » avec des « procédés » qui peuvent servir d’instrument à l’ennemi. Mais, ajoute-t-il, il « n’est pas révolutionnaire [de] s’unir au chœur des réactionnaires et des impérialistes à propos d’un fait déterminé. C’est ce qu’a fait le PCV ». Enfin, élargissant le débat, Castro fait allusion à des négociations commerciales en cours entre l’Union soviétique et la Colombie : « Les questions de principe… doivent être respectées aussi en Amérique latine. »
Le Cubain ne décolère pas, en effet, du retour récemment fait par Moscou à la ligne des « fronts unis » – une tactique visant à associer les forces populaires à celles des « bourgeoisies nationales » réputées plus « anti-impérialistes » (c’est-à-dire antiaméricaines) que fondamentalement conservatrices. En cohérence avec cette ligne, la stratégie soviétique est de proposer une « alternative » économique aux forces vives du sous-continent, sans trop distinguer entre les régimes. Si les États-Unis n’ont plus le monopole du commerce extérieur et de la coopération, alors les esprits s’ouvriront à d’autres perspectives, assure Moscou. Cette formule, parce qu’elle a besoin de temps pour porter ses fruits, ne peut guère convaincre le fougueux Castro de 1967. Et d’abord parce que les premiers destinataires de cette bienveillance de Moscou sont des pays – le Venezuela, précisément, ou la Colombie – qui sont à couteaux tirés avec Cuba. Fidel craint, en outre, que les largesses de Moscou ne soient prises sur un fonds d’aide à l’Amérique latine dont son pays est le destinataire numéro 1, et aussi en partie le distributeur.
Tout au long
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