Fidel Castro une vie
organique n’osera désormais s’afficher. Il ne restera plus que la voie de la dissidence. C’est celle que choisira Ricardo Bofill, un haut fonctionnaire arrêté à l’occasion de l’affaire de la micro-fraction, et qu’on retrouvera, dans les années 1980, réfugié à l’ambassade de France, après qu’il aura organisé un comité de défense des droits de l’homme. Et le vieux PSP a, désormais, perdu la totalité de ses positions. Est-ce le M-26 qui a gagné ? Non, c’est l’avatar militaire du castrisme qui, sous le commandant en chef et le ministre des Armées Raúl, dirige la Révolution. Selon le titre d’un livre de K. S. Karol, Cuba joue désormais
Les Guérilleros
au pouvoir
.
Le procès de la micro-fraction semble une gifle à l’Union soviétique, mise en cause durant l’enquête. De Moscou, une dépêche de l’AFP reproduit les interrogations d’un membre du régime : l’existence du petit abcès au flanc du géant américain justifie-t-il le soutien de l’Union soviétique, alors que Castro s’oppose en tout à la ligne de l’État protecteur et ami ? Le moment retenu par le
Lider
pour lancer cette affaire semble très mal choisi car les négociations commerciales annuelles bilatérales traînent infiniment. Déjà, à Moscou, on a fait savoir qu’on n’augmentera pas pour 1968 les quantités de pétrole livrées. Par ailleurs, des doses de vaccin antipoliomyélite, attendues en décembre 1967, ne sont toujours pas livrées. Qui pis est, Moscou envoie un ambassadeur de choc, Alexander Soldatov, en remplacement d’Alexeiev, devenu trop « cubain ». Or, on est en pleine pénurie de tout et la
zafra
de 1968 s’annonce, une fois de plus, médiocre.
On voit par ailleurs affleurer, d’évidence alimentés aux meilleures sources officieuses soviétiques, des bilans de l’aide à La Havane : cinq millions de tonnes de pétrole annuel à des prix fort bonifiés, l’achat de la moitié de la récolte de sucre à des cours trois fois supérieurs au marché, soit une aide économique d’environ un demi-milliard de dollars par an – le double par habitant de ce qu’accordent les États-Unis au Chili d’Eduardo Frei, le pays vitrine de l’Alliance pour le progrès. Les manquements du partenaire caraïbe sont mis en lumière, telle son incapacité permanente à livrer les quantités de sucre convenues. Les exigences toujours croissantes de La Havane sont aussi aigrement notées. Bref, cela ne peut plus durer !
Castro, cette fois, a mesuré jusqu’où il pouvait aller trop loin. Les dirigeants cubains commencent d’expliquer autour d’eux que le limogeage de la « micro-fraction » n’a rien d’antisoviétique, et que les choses s’arrêteront là. Le Premier ministre Kossyguine reçoit, le 17 février, l’ambassadeur à Moscou, Raúl García, et l’entretien est « amical ». L’accord commercial pour 1968 est enfin signé le 21 mars. Le 13 mars, devant les étudiants, Fidel avait déclaré, mystérieux : « Des raisons d’État m’empêchent de révéler certains détails à propos des problèmes [économiques] de Cuba. » D’évidence, la « démocratie pédagogique » butait là sur des limites. Castro renoue aussi avec une humilité un peu oubliée depuis le tournant socialiste de 1961 : « Nous n’avons pas la prétention d’être des révolutionnaires parfaits, lancera-t-il le 26 juillet. Nous aspirons simplement à parvenir un jour à la société communiste. »
Le terrain est mûr pour le grand retournement du 23 août 1968. Fidel a d’abord semblé stupéfait de l’invasion, le 21, de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie. Le 22, il laisse défiler par les rues de La Havane une centaine de techniciens tchèques, dont beaucoup sont en larmes et qui portent des pancartes « Russes ! Hors de Tchécoslovaquie ! ». Mais, dès le lendemain, il se ressaisit. Ce sera le discours le plus tortueux de sa carrière, mais il appuie l’action soviétique. « Inutile de prétendre, commence-t-il, que la souveraineté tchécoslovaque n’a pas été violée ; elle l’a été, et de manière flagrante. » Pas la peine non plus de « se cacher derrière des feuilles de vigne » : « Il estvraisemblable qu’il n’y a pas eu d’appel à l’aide lancé de Prague au Kremlin. » Si aucune justification légale ne peut être trouvée à l’invasion, le
Lider
la justifie, ce 23 août, politiquement : « Il ne fait aucun doute à nos yeux,
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