Fidel Castro une vie
épisode, sera déchargé de ses responsabilités au G2. Il sera alors nommé chef du département « Amériques » au Comité central : en pratique, le coordinateur des actions de subversion sur le continent. C’est donc lui qui va mettre en œuvre, cette fois dans la discrétion, sous l’égide d’un ministère de l’Intérieur désormais confié à Sergio del Valle (qui fut médecin à la Maestra), l’assistance de Cuba à la nouvelle forme que va prendre l’action révolutionnaireen Amérique latine après l’échec des « foyers révolutionnaires ruraux » : la guérilla urbaine. De fait, celle-ci va s’épanouir dans le « cône sud » du sous-continent au tournant des années 1960-1970 : « génération 68 » au Brésil, Tupamaros en Uruguay, Montoneros en Argentine… Avec de terribles conséquences puisque ces mouvements vont être la cible d’affreuses répressions (« l’hécatombe des
Latinos
», dira Régis Debray ; « une erreur gravissime », admettra Teodoro Petkoff, dirigeant trotskyste vénézuelien plus tard reconverti à la social-démocratie, « qui coûta des vies, des années de prison… »). Un bilan que, pourtant, n’avalisera jamais Castro, plutôt porté à mettre en cause l’insuffisance des hommes : pour lui, les conditions étaient alors réunies pour la victoire de la Révolution latino-américaine…
Cependant, pour un lustre, Cuba va sortir de la tonitruante Histoire. Est-ce parce que les Cubains sont heureux ? Pas tant que ça ! Tous les visiteurs de cette période ont une formule : « Le peuple est fatigué. » Et, surtout, l’histoire de l’Amérique latine ne se résume plus à Cuba. Fin 1968, des militaires « pas comme les autres » (la formule est de Castro) ont pris le pouvoir au Pérou. Les mêmes qui ont vaincu la guérilla en 1965 ont perçu que des réformes ne peuvent plus attendre. En un tournemain, le général Velasco Alvarado a nationalisé les puits de pétrole et décrété une réforme agraire radicale. Moscou appuiera discrètement le processus. Changement à vue, également, dans les démocraties. C’est le Chili qui, en 1965, a élu le premier président démocrate-chrétien du continent, avec un programme de « révolution dans la liberté ». Les États-Unis le soutiennent ostensiblement. Dès lors, Eduardo
Frei
sera la bête noire de Fidel. Mais
Frei
évolue : en mars 1969, il convoque à Viña del Mar une conférence des pays latino-américains (Cecla) pour fonder une solidarité continentale dont les États-Unis ne seraient plus le centre. La même année, encouragé par son collègue en démocratie chrétienne Rafael Caldera, président du Venezuela depuis 1968,
Frei
accepte de vendre aux Cubains les légumes dont ils ont un urgent besoin pour se nourrir. Plus largement, à partir de 1969, un front de pays va se créer pour faire cesser la quarantaine autour de l’île caraïbe : outre le Chili et le Venezuela, on y trouvera le Pérou et la Colombie.
Ainsi le sous-continent
latino
s’ébranle-t-il. Et pas seulement dans les palais présidentiels : des jeunes gens vont entreprendre de secouer le vieil ordre dans les villes du « cône » Sud – Tupamaros en Uruguay, Montoneros en Argentine… Or, c’est bien le moment que choisit Washington pour opérer un retour en arrière par rapport à la voie définie par Kennedy : les crédits de l’Alliance pour le progrès sont réduits avant même l’élection de Nixon, en 1968. Celui-ci théorisera ce nouveau cours en un slogan : «
Trade, not aid
» (le commerce plutôt que l’aide). Le « gros bâton » que Washington a de nouveau brandi, au milieu des années 1960 (feu vert à la prise du pouvoir par les militaires brésiliens en 1964, invasion de la République dominicaine en 1965), va redevenir un de ses instruments, même si la besogne sera désormais sous-traitée à des « locaux » : après le général Onganía (1966) en Argentine, le président civil Pacheco Areco en Uruguay (1968) et le général Banzer en Bolivie (1971).
Ayant renoncé à une grande politique en Amérique latine, Castro va consacrer quelques années à améliorer l’économie de Cuba, pantelante comme débutait 1968, « l’année du guérillero héroïque ». Car tout est rationné, du papier à l’essence en passant par vêtements et chaussures, et le lait, la viande, le café, les fruits, les légumes… De l’aveu du
Lider,
22 % des habitants de La Havane sont candidats à l’émigration. Il ne s’en
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