Fidel Castro une vie
gendarmes étaient des mercenaires européens, non des Cubains. Il n’importe ! Castro sait désormais trouver en face de lui la France officielle, jusque-là pourtant fort peu anticubaine, au cas où les soldats de Castro déstabiliseraient cette « Françafrique » que Paris estime de sa sphère d’influence. L’affaire a aussi démontré la coupure entre une Afrique « modérée », qui place son salut à Paris, et une autre « radicale », qui jure par La Havane et Moscou.
Toutefois, les ponts entre Washington et La Havane ne sont pas rompus. Une fois déjà, au premier semestre de 1975,l’Amérique avait cherché à traiter à fond avec Fidel, sous l’égide de ce vieux roué de Kissinger. Porto Rico puis l’Angola avaient signé la faillite de la tentative. Avec le baptiste idéaliste Jimmy Carter, le pouvoir américain est mieux disposé encore envers Cuba. Pour préparer le terrain, on envoie une équipe de basket du Sud-Dakota, « emmenée » par… le sénateur démocrate George McGovern, disputer trois matchs à La Havane ! Castro annonce que l’île est prête à recevoir ces touristes américains que, le 8 mars 1977, Carter a autorisés à s’y rendre à nouveau. Une délégation d’industriels du Minnesota arrive sans attendre. Castro leur accorde un entretien et leur offre une réception croulante de langoustes, de cubes de porc rôti et d’ananas, et arrosée de rhum cubain et de champagne soviétique comme la Révolution sait faire.
Carter exulte. Il reprend même à son compte une phrase de son représentant à l’ONU, Andrew Young : « Les forces cubaines ont stabilisé la situation en Angola. » Et, surtout, il propose… un échange de diplomates « de rang moyen ». Le 27 avril 1977, un accord sur la délimitation des zones de pêche est conclu ; c’est la fin d’une myriade d’incidents entre chalutiers cubains et la
Navy
. En outre, Castro continue d’appliquer, au-delà du 15 avril (terme qu’il a fixé en 1976), l’accord de 1973 sur la piraterie aérienne. Donc le printemps est idyllique. Le 1 er mai, le discours de Fidel ne comporte nulle pointe anti-yankee. Le 10 mai, le premier charter d’Américains arrive à La Havane pour une semaine à quatre cents dollars. Une délégation scientifique cubaine se rend à un congrès en Floride. Deux étoiles du ballet national cubain participent à un gala à New York…
L’administration démocrate utilise ce moment pour « pousser », avec subtilité, la question des droits de l’homme, qui est le cœur même de la nouvelle vision géostratégique de Carter. Deux fonctionnaires américains en mission
ad hoc
dans l’île s’entendent dire que vingt-quatre Américains prisonniers à Cuba pour des raisons politiques seront libérés. Le 11 mai, le département d’État publie sa première estimation du nombre de prisonniers politiques à Cuba : de dix à quinze mille, dont deux mille détenus en « sécurité maximale » – sans doute ceux que l’on dénomme les
plantados
, les « plantés-là », qui ont refusé le programme de réhabilitation appliqué par lesautorités à tous les opposants incarcérés. Dans une interview demeurée célèbre accordée début juin à Barbara Walters de la chaîne ABC, Fidel admet, avec sa superbe approximation habituelle sur le sujet, de « deux à trois mille prisonniers politiques ». La différence – considérable – des chiffres vient de ce que Washington inclut les détenus des programmes dits « spéciaux » (les « paresseux », par exemple) qui purgent des peines en général courtes et dans de meilleures conditions que les « contre-révolutionnaires ». On observe tout de même que le castrisme n’a jamais décrété d’amnistie…
À Barbara Walters, Castro a dit encore : « Un jour, toute l’Afrique sera socialiste. Le rôle de Cuba n’y sera plus que civil. » S’esquisse la stratégie de Fidel : lâcher du lest sur la question des droits de l’homme, chère entre toutes au président démocrate, mais demeurer intraitable sur l’Afrique. « Nous resterons en Angola le temps qu’il faut », déclare ainsi Castro lors d’un entretien de vingt heures accordé à Simon Malley, d’
Afrique Asie
. Et, le 8 mai 1977, des « conseillers » cubains arrivent… en Éthiopie. C’est là une extension du champ d’intervention de l’île caraïbe en Afrique, bien peu dans l’air du temps américano-cubain. Ils vont entraîner cent mille « miliciens » au camp de
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