Fidel Castro une vie
Fidel, pour sa part, rappelle son préalable : la levée du « blocus ». Quant aux admonestations du pasteur baptiste, le
Lider
s’en dit « préoccupé » : Cuba a-t-elle des leçons à recevoir de la part d’un pays qui a tenté de l’assassiner à vingt-quatre reprises ? Les obstacles sont donc consistants. Mais tout est ouvert.
Or, le 1 er mars 1977, on apprend que Fidel est parti en Afrique. Sa première étape est pour son remuant « ami » Kadhafi. Le Cubain reste neuf jours en Libye. Les deux hommes multiplient les entretiens sur la situation en Afrique et dans le monde arabe. Castro dit « apprécier » la position anti-impérialiste « conséquente » du colonel. Il fait ensuite un crochet chez ses alliés du Sud-Yémen, qu’il aide depuis la création de leur État en 1967 ; il a là au moins deux mille militaires. Car Aden est une sorte de citadelle stratégique face à la « Corne » de l’Afrique, où vont se jouer des parties décisives : l’indépendance prochaine de Djibouti et le destin de l’Éthiopie.
De là, Fidel vole le 12 mars vers Mogadiscio. Avec la Somalie, Cuba a ouvert les relations en 1972 et l’Union soviétique a signé avec elle, trois ans plus tôt, un « traité d’amitié et de coopération ». L’un des effets de ce texte est de fournir à Moscou des facilités militaires notables, à Kismayo et Berbera. Mais le président Siyaad Barre attend en échange au moins la neutralité bienveillante de Moscou pour qu’il récupère l’Ogaden – trois cent mille kilomètres carrés assez désertiques, mais de peuplement somalien, dans le sud de l’Éthiopie. Or, la récente victoire de Mengistu au Derg a convaincu les Soviétiques et leur allié cubain que son pays, plus peuplé, plus radical aussi, est désormais leur atout dans la région. Mais comment concilier ce changement diagonal des perspectives avec le maintien de l’amitié pour la Somalie expansionniste ? C’est ce dilemme que Castro tente de résoudre.
Il se rend d’abord à Addis-Abeba pour un premier contact avec le vainqueur du 3 février. Le courant passe entre ces deux révolutionnaires désinhibés. Le Cubain convainc son interlocuteur de venir à Aden pour rencontrer face à face le Somalien Barre. Castro croit au contact personnel entre les grands de ce monde. Il est persuadé de pouvoir réconcilier deux hommes qui, après tout, sont l’un et l’autre sur la « voie socialiste ». La confrontation à quatre (le président sud-yéménite en est aussi) se prolonge du soir à l’aube. Fidel propose une formule de fédération Somalie-Éthiopie. Mais il touche là l’une des limites de sa perception du monde, et devra
in petto
convenir que les « oppositions de civilisations » (islam/christianisme) ne sont pas solubles dans le marxisme : le 17 mars au matin, il a échoué.
Cependant, Fidel poursuit, imperturbable. Il visite la Tanzanie, avec laquelle il a de très anciennes relations de coopération : Cuba a là trois cent cinquante techniciens civils. Le président Nyerere est, en outre, le porte-parole des cinq États de la « ligne du Front », face à la Rhodésie blanche. Durant ce séjour, Fidel visitera Zanzibar, cet archipel devenu tanzanien en 1964 et où, l’année d’avant, un coup d’État lui avait valu un premier, discret, succès « internationaliste ». À Arusha, la nouvelle capitale de Nyerere, le Cubain proclame son « soutien total » à la cause de la libération de l’Afrique australe. De là, il gagne le Mozambique qui vient d’obtenir l’indépendance d’un Portugal en pleine révolution : Castro avait envoyé des centaines de militaires et civils conforter les premiers pas de Samora Machel.
Comme il est naturel, le
Lider
a prévu une longue étape en Angola. C’est devenu comme une seconde patrie. Durant les heures fiévreuses de « l’opération Carlota », a raconté García Márquez, le
Lider
restait « près de quatorze heures de suite dans le poste de commandement, suivant l’avance des troupes sur de grands tableaux ». Fort de son esprit de système, il a voulu tout savoir de ce pays. Il a tout lu et connaît jusqu’à des toponymes insignifiants… Alors Luanda lui réserve un accueil délirant. Fidel promet « toute l’aide nécessaire ». Il ajoute : « Cuba n’acceptera jamais de négocier avec les États-Unis son aide militaire ou civile à l’Angola. » C’est que les premières discussions directes entre Washington et La Havane, sur la
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